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collines[1]. Il n’est probable ni que tout soit vrai, ni que tout soit faux dans ces traditions, et, si l’on en écarte le merveilleux et les exagérations évidentes, il reste des événemens qui s’expliquent suffisamment par les circonstances naturelles sous l’empire desquelles se forment et se détruisent de nos jours les terrains d’alluvion de la baie. Les projets de Vauban ne sont pas fondés sur autre chose que l’appréciation de ce travail sans repos de la nature, et, pour exposer ce qu’il a voulu faire, il n’est pas nécessaire de remonter au-delà de ce qu’il a lui-même observé.

Les alluvions qui sont encloses depuis le XIe siècle, aussi bien que celles qui couvrent et découvrent à cette heure, ont pour ennemis communs tous les cours d’eau forts ou faibles qui s’épanchent dans la baie. Les masses d’eau que les marées engouffrent dans les embouchures de ces ruisseaux ou de ces rivières en sont vomies, accrues par l’accumulation des eaux intérieures qu’elles ont retenues ; elles roulent par le jusant sur les plans inclinés des grèves plus rapidement que le flot ne les a remontés, et, ravinant à l’aise des plages toujours friables et toujours trempées, elles rejettent à la mer les sables qu’elle vient d’apporter. À la vérité, si, par l’effet des caprices des vents et de leur action sur les courans, quelques parties des grèves demeurent un certain temps en dehors de l’atteinte des érosions, la tangue et les terres dont les flots sont surchargés s’y déposent et s’y accumulent ; des bancs se forment et s’exhaussent. Dès qu’ils sont au-dessus du niveau des marées de morte eau, la christe marine commence à s’y montrer : elle les revêt d’un manteau de sa pâle verdure, et semble prête à les consolider ; mais ils ont beau avoir duré et s’être tassés : tôt ou tard pris à revers ou en écharpe par les courans qui les ont épargnés, ils finissent par être entraînés comme ceux qui datent de la veille ; l’œuvre de longues années est détruite en un jour, en une heure, et l’histoire des alluvions de la baie ne serait que celle de ces sortes de surprises.

La baie reçoit à l’est la Sée et la Sélune ; le Couesnon y descend du sud sous la méridienne du Mont-Saint-Michel, et le volume des autres eaux réunies qui s’y jettent égale à peine celui du moindre des cours d’eau qui viennent d’être nommés. Le Couesnon est le plus puissant, le plus dangereux des trois, et le plus voisin des points vulnérables des territoires menacés : pour peu que les eaux refoulées dans son lit y soient sollicitées par les pentes variables des grèves, elles se précipitent

  1. Neustria Pia. — Histoire de Bretagne, par d’Argentré ; 1580. — Histoire ecclésiastique de Bretagne, par l’abbé Déric. — De l’ancien État de la baie du Mont-Saint-Michel, par l’abbé Manet. — Essai sur Paris, par Poullain de Sainte-Foix, t. V. — Antiquaires de France, t. VII. — Mémoire de M. Bizeul. — Recherches pour servir à l’histoire naturelle des côtes de France, par MM. Audouin et Milne Edwards, t. Ier. — Histoire du Mont-Saint-Michel et de l’ancien diocèse d’Avranches, par l’abbé Desroches ; Caen, 1839.