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aux bras nus et blancs, ornés de bracelets, se balançaient aux lucarnes ; des yeux furtifs regardaient à la hâte à travers les fentes de la toile, pendant que des esclaves farouches rôdaient aux environs. De tous côtés un tumulte étourdissant, des cris, des menaces, des prières, et planant sur l’arène une âpre poussière et une odeur nauséabonde, mêlée à d’indéfinissables parfums. Sous la protection de nos guides, nous pûmes nous mêler en sûreté à la foule et nous aventurer dans les ruelles et les lieux écartés, où nous surprenions les bizarreries de la vie orientale. Personne n’osa nous insulter, quoique souvent sur notre passage on ne cachât point un dédaigneux étonnement. Les femmes surtout se drapaient, les vieilles avec ostentation et comme souillées par la présence des giaours, les jeunes avec plus de lenteur, sans trop de colère et d’une main volontiers maladroite.

Nous parcourûmes de la sorte l’enceinte jusqu’aux barrières qui fermaient le camp vis-à-vis de Navarin. La tente d’un bey, un poste nombreux, des canons tournés sur la plaine, défendaient la porte. Sur cette limite, entrée et sortie unique du camp, régnait une effroyable tourmente de clameurs, de beuglemens, de troupes d’hommes et d’animaux qui se heurtaient en tous sens. Des cavas distribuaient des coups de bâton à droite et à gauche, des soldats le sabre dégainé se ruaient au plus épais des masses, des marchands au désespoir se laissaient fouler aux pieds pour recueillir les sacs, les étoffes, la quincaillerie, les fruits répandus à terre. Les cavaliers faisaient cabrer leurs chevaux sans souci des vieillards renversés ; les conducteurs de caravane, grimpés sur le dos des chameaux, resanglaient les cordes des paniers, sautaient de la tête à la queue pour défendre les ballots, excitant leurs bêtes, dont le long cou et le mufle placide se promenaient au-dessus de cette fourmilière que leurs larges pattes écrasaient. Nous restâmes déconcertés à la vue de ce tumulte ; nous pensions assister à l’un de ces massacres si communs en Orient, peut-être à une attaque du camp par les Hellènes. Nos guides nous rassurèrent. « C’est, nous dirent-ils, l’heure de la fermeture des portes ; la canaille, les vendeurs, les paysans, sont chassés du marché ; de leur côté, les soldats, les patrouilles, les promeneurs, la maraude, se hâtent de rentrer : de là un mouvement de marée, de flux et de reflux, qui occasionne un peu de désordre ; mais personne n’y prend garde. Voyez si le bey chargé de veiller sur ce quartier bouge de sa tente ; il ne s’inquiète pas de si peu, et fume tranquillement le narguilhé. »

Un nouvel incident vint compliquer la situation. Tout à coup le sol retentit sous le sabot de chevaux vivement pressés, les sentinelles donnèrent l’alarme, le poste sortit, se formant en bataille contre un escadron de spahis qui arrivait des montagnes. Celui-ci, après avoir parlementé, s’engagea au trot entre les palissades pour pénétrer dans le camp. Chacun de nous se cramponna aussitôt aux barrières, tandis