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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/47

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en torrens le long des digues des marais de Dol, en affouillent les fondemens, et augmentent, par la profondeur d’eau qu’elles maintiennent au pied, la violence du choc des lames que soulèvent les tempêtes. On a vu plusieurs fois les digues suspendues sur des ravines de 13 à 20 mètres de profondeur creusées par le Couesnon sous leurs talus et près de s’y abîmer. Elles étaient dans cet état lorsqu’elles se rompirent, en 1792, sous l’effort d’une tempête qui dura du 9 an 12 septembre ; 5,860 hectares des meilleures terres des marais de Dol furent submergés, restèrent improductifs pendant trois ans, et la réparation des travaux détruits exigea une dépense de 311,000 francs[1]. Je cite cet exemple entre beaucoup d’autres, parce que j’en ai les détails officiels sous les yeux. Le 6 mai 1817, les vallées des environs d’Avranches étaient ravagées comme l’avaient été, vingt-cinq ans auparavant, les herbages de Dol. Dans ces circonstances, la culture a repris possession des terres momentanément noyées : il n’en a pas toujours été de même, et, pour savoir ce que peut dévorer cette mer, il n’est pas nécessaire d’évoquer les souvenirs de la forêt de Scissy. Presque de nos jours, des paroisses entières ont été emportées dans la baie. Celle de Tommen était engloutie au XIVe siècle, celle de Bourg-Neuf au XVe. En 1735, un ouragan mettait à découvert, comme des ossemens au fond d’un sépulcre, les fondations de Saint-Étienne de Palluel, détruit en 1630 ; les paroisses de Saint-Louis, de Maulny, de la Feillette, sont restées inscrites jusqu’en 1664 sur les registres synodaux de l’évêché de Dol[2]. De tous ces lieux, il ne reste plus que des noms, et l’on en ignore aujourd’hui jusqu’à la place. Enfin, de 1817 à 1848, plus de 600 hectares de pâturages ou de terres cultivées situées entre la Guintre et le havre de Moidrey ont été rejetés miette à miette à la mer[3].

Ainsi, la mer crée et détruit sans cesse ; les terres que le flux apporta dans la haie, le reflux les remporte, ordinairement au bout d’une heure, quelquefois au bout d’une longue suite d’années, et sans qu’on puisse jamais conclure de l’âge des dépôts combien de temps il les épargnera encore ; mais la mer n’anéantit jamais que son propre ouvrage, et l’on peut calculer à l’étendue de ce qu’elle entraîne de quelles richesses elle comblerait le pays, si elle était une fois maîtrisée.

Tels étaient les marais et les grèves lorsque Vauban les visita, tels ils sont encore.

Le texte du projet de Vauban a été infructueusement cherché depuis

  1. Arrêté de l’administration centrale d’Ille-et-Vilaine du 15 ventose an VII, et rapports des ingénieurs des ponts-et-chaussées à l’appui.
  2. Histoire ecclésiastique de Bretagne, par l’abbé Déric ; Dictionnaire géographique de Bretagne, par Ogée.
  3. Mémoire manuscrit sur la baie du Mont-Saint-Michel, par M. Méquet, ingénieur en chef des ponts-et-chaussées du département de la Manche.