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d’autrefois, quelques-uns des purs trésors dont il avait précieusement conservé le dépôt.

Soit qu’on cherche dans cet événement un symptôme de restauration morale, soit qu’on se préoccupe simplement d’un problème littéraire, on ne saurait y regarder de trop près : une foule de plumes aujourd’hui ont la prétention d’écrire pour le peuple ; en France et en Allemagne, cette veine est exploitée avec une ardeur singulière, et, sauf des exceptions trop rares, l’empressement des poètes et des conteurs n’a produit jusqu’ici que des œuvres artificielles. Il y a deux manières de comprendre cette tâche : ou bien ce doit être un enfant du peuple qui exprime les mystérieuses pensées, qui chante les douleurs, les joies, les espérances de ses frères, et ouvre à nos regards avides les profondeurs de ce monde immense, les sources obscures et intarissables où se retrempent et se renouvellent sans cesse les sociétés humaines ; ou bien c’est un artiste, un lettré, qui n’écrit pas pour le peuple, mais qui, empruntant au peuple ses mœurs, ses effets pittoresques, les ressources poétiques contenues dans sa vie de chaque jour, essaie par là de rajeunir une littérature épuisée, poursuit des formes et des couleurs nouvelles, et s’inquiète beaucoup plus de la beauté que du caractère moral de son œuvre. Ces deux inspirations ne seront jamais réunies ; l’une est l’exclusion de l’autre. L’homme du sillon ou de l’atelier, l’ouvrier des campagnes ou des villes peut donner une voix à cette poésie indéterminée qui s’agite vaguement dans les ames populaires ; prenez garde pourtant, dès que cette voix acquiert certaines qualités durables, dès que le chanteur devient un poète, dès que le sentiment de l’art et l’amour réfléchi du beau s’éveillent en lui, il a perdu déjà les conditions premières qui faisaient sa force ; la vérité le préoccupe moins que le succès ; ce n’est plus un homme du peuple, c’est un lettré. De là vient que la vraie poésie populaire est anonyme ; elle n’existe que dans ces œuvres, nées on ne sait ni où ni comment ; dans ces plaintes, dans ces chansons, dans ces hymnes, que des millions de voix se transmettent d’une génération à l’autre, naïvement modifiées selon les convenances de chaque lieu et les inspirations de chaque esprit. Personne n’a réussi, personne ne réussira à se l’approprier complètement. Ne demandez à aucune littérature l’expression sincère d’une telle poésie représentée par un nom distinct ; ne la cherchez ni en Allemagne, ni en Angleterre, ni en France ; ce que vous trouverez toujours, ce sont des poètes issus ou non de ce qu’on appelle le peuple, mais qui, en tout cas, ne font déjà plus partie de cette foule dont ils prétendent nous révéler les mystères. Restent donc simplement des artistes, qui, inspirés par la pensée chrétienne ou obéissant à l’influence démocratique, ont vu dans l’existence du peuple une heureuse et fertile matière. Seulement tous ne se ressemblent