pas ; les uns aiment le peuple, ils l’ont étudié avec une sympathie dévouée, et ils ont apporté dans cette étude les hautes et courageuses pensées qu’elle impose ; ils savent qu’on ne doit parler au peuple que pour le moraliser, et que le meilleur moyen de travailler à le rendre heureux, c’est de travailler à le rendre meilleur. Les autres, et c’est malheureusement le plus grand nombre, n’ont cherché dans la peinture des classes inférieures qu’une occasion de succès, une mine à exploiter en tous sens ; ils dessinent des silhouettes rustiques, comme on peignait, il y a vingt-cinq ans, des chevaliers du moyen-âge : les sarraux bleus et les sabots ont remplacé les lames de Tolède et les manteaux couleur de muraille. C’est pure affaire de mode. La mode est meilleure, je le veux bien, car il y a toujours profit à se rapprocher de la nature, et s’essayer à reproduire la réalité est une tâche plus féconde que de chercher la poésie dans des magasins de costumes. N’est-ce pas un mal cependant de toucher à cette délicate et dangereuse étude du peuple, sans y apporter des intentions sévères, sans comprendre toute la responsabilité d’une telle mission ? Celui qui n’ambitionne que le succès matériel n’est-il pas exposé à flatter bientôt les passions de ceux qu’il veut peindre et à glorifier leurs plus mauvais penchans ?
Dans la vieille Allemagne, je veux dire il y a soixante ou quatre-vingts ans, le péril était moins grave. Les romanciers et les poètes qui s’efforçaient alors de consacrer en des œuvres d’art les mœurs et les sentimens populaires obéissaient presque toujours à une haute inspiration morale ; quant à ceux qui suivaient plus spécialement leurs instincts poétiques, ils pouvaient bien considérer de tels sujets comme une ressource neuve et originale, ils n’avaient pas encore l’idée de s’en servir pour des excitations perfides. Pestalozzi est le premier qui ait songé sérieusement à peindre la vie du peuple ; vers l’époque où Voss écrivait Louise, il composait son gracieux roman Lienhardt et Gertrude (1781), qui reproduit avec tant de charme les joies et les peines d’une existence rustique et prêche d’une manière si douce la loi du travail et les vertus du foyer. Malheureusement Pestalozzi était un moraliste plutôt qu’un poète ; l’absence de l’art se fait trop sentir dans ces tableaux si purs, et lorsqu’il voulut, un an après, dans son roman de Christophe et Élise (1782), continuer cette veine heureuse, la veine sembla épuisée, le raisonnement occupa toute la place que l’invention laissait vide. Il faudrait citer vers le même temps certains récits de Jung Stilling, si le mysticisme de ce tendre rêveur n’avait bientôt dissipé en subtiles songeries la sève vraiment rustique de ses premiers travaux. Sorti des rangs les plus modestes de la classe ouvrière, Jung Stilling nous a raconté sa jeunesse avec une naïveté incomparable ; on voit dans ces simples et poétiques mémoires (HeinrichStilling’s Jugend Jünglingsjahre und Wanderschaft, (1777) une ame sincèrement populaire