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sympathies à toutes les leçons qu’il va leur donner ! comme ils sont déjà sous le charme ! La prédication de M. Gotthelf n’a pas été infructueuse ; le parti radical, qui, depuis une dizaine d’années, a gouverné et bouleversé la Suisse, en est réduit à se défendre sur tous les points où il n’est pas en déroute. Dans le canton de Berne en particulier, dans ce canton où l’auteur d’Uli a si vaillamment combattu, la victoire vient d’être complète. Le radicalisme, si long-temps en possession du pouvoir, a dû céder la place à un gouvernement libéral ; trompés naguère par les déclamations des docteurs Dorbach, les paysans se sont levés en masse pour renverser par leurs notes le despotisme de la démagogie et installer une administration vraiment républicaine. « Nous voulons, — ainsi s’exprime le programme des nouveaux gouvernans, — nous voulons le progrès de la culture intellectuelle, mais nous voulons avant tout le maintien de la foi et des mœurs chrétiennes de nos aïeux par la législation, par l’enseignement, par l’exemple des magistrats… » A qui attribuer ce résultat inattendu ? Aux progrès de la raison publique, à ces progrès que le pasteur de Lützelfluch a si énergiquement secondés. Personne mieux que le romancier des paysans n’a eu le droit d’applaudir à ces paroles, personne n’a dû en ressentir une joie plus sincère ; le nom de Jérémie Gotthelf est attaché désormais d’une manière indissoluble aux luttes et aux triomphes de la république libérale dans les cantons allemands. Aussi ce nom est-il déjà l’objet des attaques passionnées de la démagogie vaincue. Félicitons M. Gotthelf de ce nouveau succès. D’abord, il est assez vigoureusement armé pour ne rien craindre ; il joint à une ame profondément religieuse une imagination hardie et saine qui peut braver gaiement toutes les violences, et puis, il sera averti par là, s’il était tenté de l’oublier, qu’il importe de ne jamais trop se fier à la victoire. M. Jérémie Gotthelf poursuit sa mission avec zèle ; il vient d’achever un roman où il se propose de montrer l’action désastreuse de la démagogie et la féconde influence de l’esprit libéral sur deux fermiers de l’Oberland. Nous en jugerons bientôt. L’infatigable écrivain nous doit beaucoup d’autres peintures empruntées à la vie populaire ; il n’a pas dit tout ce qu’il avait à dire, il n’a pas mis en œuvre toutes les richesses de son expérience. Continuez, vous qui êtes l’apôtre et le peintre des campagnes, continuez votre œuvre salutaire et multipliez vos tableaux. Déjà vos enfans sont nombreux ; Uli le valet de ferme est à leur tête, et tous vont porter la joie et la sérénité dans les ames ; que d’autres encore leur succèdent et maintiennent vos précieuses conquêtes. Ame chrétienne et intelligence d’artiste, pasteur et poète, votre double tâche sera bien remplie.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.