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Lesdiguières, persécuta les jansénistes, et refusa la sépulture à Molière. Cet acte de rigueur eut deux motifs, et Harlay de Chanvallon, en le décrétant, voulut frapper à la fois l’acteur et l’auteur. En frappant l’acteur, il ne faisait que se conformer aux décrets du concile de Trente ; soldat de l’église, il exécutait tout simplement sa consigne ; en frappant l’auteur, il cédait, non pas, comme on l’a dit, aux injonctions des jésuites, mais aux scrupules des personnes pieuses qu’avaient effrayées Don Juan et le Tartufe.

Certes, nous ne prétendons point justifier ici une sévérité qui, de notre temps, ne peut rencontrer que le blâme ; nous voulons seulement expliquer un fait qui n’a rien que de très naturel, quand on se reporte au XVIIe siècle. Ce ne furent pas seulement, comme on l’a dit souvent et comme on le répète chaque jour, les faux dévots et les jésuites qui se déchaînèrent contre l’auteur du Tartufe ; ce furent aussi les jansénistes et les personnes sincèrement pieuses. Don Juan et le Tartufe sont sans aucun doute les œuvres les plus hardies qu’ait produites en France le XVIIe siècle ; elles forment la transition entre Rabelais et Voltaire, et il est impossible d’admettre, sans se montrer naïf à l’excès, que Molière, en écrivant le Festin de pierre, ait voulu faire un drame contre l’impiété et corriger les esprits forts en les menaçant de la vengeance du ciel, comme il est impossible d’admettre qu’en écrivant le Tartufe il ait voulu défendre la religion contre l’hypocrisie qui ne fait que la compromettre. Au milieu de tant d’opinions contradictoires, s’il nous était permis d’émettre à notre tour une opinion personnelle, nous dirions que Molière, selon nous, en écrivant ces deux chefs-d’œuvre, n’eut aucune arrière-pensée religieuse, soit dans le sens de l’attaque, soit dans le sens de la défense ; qu’en voyant autour de lui des esprits forts et des hypocrites, il les fit vivre sur le théâtre avec cette vérité profondément humaine qui éclate dans toutes ses œuvres, et que ce fut cette vérité même qui, en effrayant Bossuet, Bourdaloue, le parti janséniste, en un mot toutes les consciences sévères, attira sur l’auteur les rigueurs du clergé ; car il était facile de prévoir que le Festin de pierre deviendrait bientôt un arsenal de sarcasmes, et que le trait lancé dans Tartufe contre ceux qui se couvraient de la piété comme d’un masque serait ramassé par ceux qui ne croyaient plus, et lancé tôt ou tard contre ceux qui croiraient encore. Le mandement de Harlay de Chanvallon contre le Tartufe ne fut que le prélude du mandement de Christophe de Beaumont contre Rousseau. Dans l’un et l’autre cas, l’église se sentait menacée, et il est juste de le reconnaître, toutes les fois que, dans de semblables circonstances, elle use des armes spirituelles, les seules qu’il lui soit permis d’employer, elle reste parfaitement fidèle à l’esprit même de ses traditions et de ses lois.

Les archevêques qui gouvernèrent au XVIIIe siècle le diocèse de Paris,