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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/579

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qu’elles exercent, alors même qu’elle perdent leur cause. C’est un rare plaisir de respirer dans cette universelle mêlée qui nous entoure, dans ce gâchis d’idées fausses et d’instincts pervertis, l’austère parfum qu’exhalent la droiture du cœur et la droiture du sens.

Nous n’avons point à donner ici de rangs aux héros de ces journées ; nous recueillons plutôt nos impressions dans l’ordre où elles se succédaient à mesure que durait l’épreuve. C’est M. de Falloux, c’est le général Cavaignac qui ont d’abord occupé la tribune. Nous n’avons rien à dire ni de M. Payer, — nous ne savons absolument pas ce qui l’obligeait à parler, — ni de M. de Mornay, dont les intentions chevaleresques ne pouvaient de bonne foi couvrir l’inexpérience et les témérités oratoires. Nous avons déjà rendu justice au discours de M. de Falloux, nous aimons à la lui rendre encore. On comprend assez ce qui nous sépare de lui ; nous ne marchons pas au même but, nous aurions même pensé que nous ne partions pas du même point. À notre grande joie, il accepte aujourd’hui ce point de départ ; il salue avec nous nos origines de 89, il les appelle avec nous des conquêtes. Seulement, comme c’est un esprit raffiné qui a ses réserves, il ajoute aussitôt que la révolution française remonte encore plus haut que 89, ce qui, pour peu qu’on y mette de malice et de profondeur, menace indirectement de nous ramener à « ces principes fondamentaux et historiques » dont il est l’adorateur à la fois discret et passionné. Ces principes sont l’objet de toutes ses complaisances, ils sont l’objet de toutes nos appréhensions ; mais, comme il en convient lui-même, ce n’est pas à présent qu’il est utile de les discuter, et la discussion d’ailleurs nous fourvoierait peut-être jusque dans la métaphysique berlinoise. Berlin ou Potsdam, M. Bruno Bauer ou M. de Gerlach, ont fourni plus qu’on ne croit à la philosophie de nos radicaux aussi bien qu’à celle de nos hauts tories. Nous laissons donc volontiers de côté les « principes historiques et fondamentaux » de M. de Falloux pour dire ce que nous considérons en lui, quels que soient ses principes. Il est par excellence de ces honnêtes gens que vantait Pascal, de ceux que l’on désignait sous ce nom-là dans la langue du XVIIe siècle, « des honnêtes gens qui ne mettent pas d’enseigne. » Il n’est point orateur de profession, il ne fait pas métier des fonctions tribunitiennes ; c’est un homme du monde qui dit simplement ce qu’il veut dire et ne parle point pour parler ; on sent, à tous ses discours, que sa parole est un acte. Ce sont principalement ses qualités privées qu’il a portées dans la politique, et c’est à celles-là, qui ne s’y rencontrent pas le plus communément, qu’il y doit, lui, son autorité précoce, — une perception très ferme et très délicate des choses, beaucoup d’élan généreux, un grand sang-froid par-dessus un grand courage. « Hâtez-vous et unissez-vous ! » toute la révision est là pour M. de Falloux : elle n’a pas en effet de meilleure raison d’être. Hâtez-vous ! car il est possible que la barbarie du dedans et la barbarie du dehors vous écrasent bientôt sous les ruines qu’elles feront en s’entrechoquant. Unissez-vous ! car, en restant divisés, vous en resterez aussi aux replâtrages, et il ne faut pas édifier pour un jour le repos de la France. On devine bien encore sous ces vives apostrophes l’inspiration des éternels « principes historiques. » Il y a peut-être dans cette ambition de rebâtir à perpétuité les illusions et les erreurs magnifiques d’une certaine littérature ; mais ce n’est pas le