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De 1823 à 1831, M. Barye emploie tout son temps à modeler des animaux pour M. Fauconnier, orfèvre qui jouissait alors d’une certaine célébrité. Sans se laisser décourager par les récompenses prodiguées à ses camarades, il accomplit la tâche obscure qui lui est dévolue. L’espérance le soutient ; il sent que le jour de la justice ne peut manquer de venir. Ces huit années remplies par un travail assidu n’ont pas laissé plus de traces que les cinq ans passés chez Fourier. M. Fauconnier aurait seul pu nous dire combien d’œuvres ingénieuses, combien de figures gracieuses ou hardies sont nées sous l’ébauchoir de M. Barye. C’est l’unique témoignage que nous pourrions invoquer, et M. Fauconnier n’est plus là pour répondre.

Ainsi M. Barye a traversé des épreuves nombreuses avant d’arriver à la popularité. Quand son nom fut, pour la première fois, révélé au public, je veux dire à la foule qui ne se préoccupe guère des concours académiques, il avait trente-cinq ans, et depuis vingt-deux ans il étudiait sans relâche toutes les branches de son art. Graveur de poinçons pour les orfèvres, graveur en médailles, modeleur d’animaux et de figurines qui se multipliaient sans répandre son nom, il n’a pas un seul instant désespéré de l’avenir, et le bon sens de la foule, d’accord avec l’opinion des connaisseurs, a pris soin de justifier sa confiance.

La vie laborieuse de M. Barye peut être offerte en exemple à tous les esprits impatiens qui se plaignent d’être méconnus. Voilà un homme dont la valeur est aujourd’hui évidente pour tous, qui a travaillé vingt-deux ans avant de se faire jour, qui s’est vu préférer par l’académie MM. Jacquot, Lemaire, Seurre, Vatinelle, qui avait conscience de sa force, et qui pourtant n’a pas songé à se plaindre de ses juges. Exclu du concours après quatre épreuves qui ne laissaient aucun doute sur l’étendue de son savoir, il n’a pas jeté le manche après la cognée ; il s’est dit que tôt ou tard le public lui rendrait justice, et, en attendant le jour de la réparation, il n’a eu d’autre souci que de compléter ses études.

L’orgueil ne l’aveuglait pas. Il sentait bien qu’il valait mieux que MM. Vatinelle, Jacquot, Seurre et Lemaire ; mais il savait aussi tout ce qu’il lui restait à apprendre pour offrir sa pensée aux regards de la foule. Les animaux modelés pour M. Fauconnier, que je n’ai pas vus, ont obligé M. Barye d’étudier avec une égale vigilance les mœurs aussi bien que les formes des personnages qu’il avait à représenter. Pendant huit ans, il a épié, il a surpris tous les instincts qui donnent aujourd’hui la vie à ses compositions. Il s’est initié, pour les besoins de son art, à tous les mystères que les savans semblent se réserver comme un patrimoine sacré, interdit aux profanes. Depuis la gazelle jusqu’à la panthère, depuis le colibri jusqu’au condor, il n’y a pas un chapitre de Buffon qui ne soit familier à M. Barye. Il a étudié la série entière d’animaux avant d’essayer de les reproduire. Aussi, quand il a pu secouer