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le joug de l’obscurité, quand il a pu signer ses œuvres et les soumettre au jugement du public, il s’est trouvé en possession d’un savoir tellement varié, tellement éprouvé, qu’il s’est joué de toutes les difficultés. Il n’avait plus à tâtonner, il avait frayé lui-même la route où il marchait ; il connaissait à fond le caractère des modèles qu’il entreprenait de reproduire ; il était désormais à l’abri de toute hésitation, de toute incertitude ; il allait recueillir le fruit de sa persévérance.

Les groupes composés par M. Barye pour le duc d’Orléans et destinés à former les pièces principales d’un surtout ont une importance bien supérieure à leur destination. Ces sortes d’ouvrages sont habituellement confiés à des ouvriers plus ou moins adroits ; il est bien rare qu’ils soient demandés à des artistes vraiment dignes de ce nom. Pourvu que les pièces du surtout soient bien fondues et bien ajustées, l’acquéreur se déclare satisfait. Le duc d’Orléans avait conçu l’heureuse pensée de s’adresser à M. Barye, et de lui laisser pleine liberté pour le choix des sujets comme pour la disposition des pièces ; cette pensée, inspirée par un goût judicieux, n’a pas été fidèlement suivie. M. Barye a composé neuf groupes, dont cinq représentent des chasses ; le reste du surtout a été partagés entre un grand nombre de mains. Je n’ai pas à m’occuper de l’ensemble du surtout dessiné par M. Aimé Chenavard. Que l’architecture joue dans cette composition un rôle beaucoup trop important, c’est ce qui est hors de doute ; que M. Barye, travaillant librement selon la pensée primitive du duc d’Orléans, fût capable de produire une œuvre plus élégante, plus harmonieuse, plus sensée que le surtout dessiné par M. Aimé Chenavard, c’est ce qui n’a pas besoin d’être démontré. Ma tâche présente se réduit à l’étude des neuf groupes. Les sujets choisis par M. Barye se distinguent à la fois par la richesse et par la variété. La Chasse au Tigre, la Chasse au Taureau, la Chasse aux Ours, la Chasse au Lion, la Chasse à l’Elan, lui ont fourni l’occasion de montrer tout le savoir qu’il avait amassé depuis vingt ans.

Dans le premier de ces groupes, les chasseurs indiens sont placés sur un éléphant et brandissent le javelot. De chaque côté de l’éléphant, un tigre s’élance et monte à l’assaut, car la monture des chasseurs ressemble à une place forte. Une opinion généralement accréditée déclare l’éléphant éternellement laid, quels que soient sa couleur et son âge. Je n’entreprendrai pas de le réhabiliter en le comparant au tigre, au lion, à la panthère ; ce serait pure folie. Il n’a certainement ni leur souplesse ni leur élégance, et pourtant, quoi qu’on puisse dire, il a sa beauté propre, la beauté attachée à l’expression de la force. Pour traduire ce genre de beauté, il faut s’être préparé à cette tâche difficile par de solides études, il faut connaître parfaitement la forme, les mouvemens et les habitudes de l’éléphant. M. Barye réunissait toutes ces conditions ; aussi a-t-il résolu sans peine le problème qu’il s’était posé.