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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/668

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tout exprès. La tache est lourde, mais M. Browning présente une occasion de faire sur nature une étude si particulière, qu’il est difficile de ne pas aller où le sujet vous pousse.

Dans une des esquisses dramatiques de M. Browning, dans Pippa passe, Jules le sculpteur écrit à un prélat quelques lignes qui pourraient bien trahir le point de départ du poète lui-même.

« Jusqu’à ce jour, écrit l’artiste, je n’avais jamais eu d’idéal clairement arrêté dans la tête. Depuis que je manie le ciseau, je n’ai fait que m’exercer à reproduire des types imaginés par d’autres, et l’habileté même que j’ai acquise dans cette pratique ne me laisse aucune chance d’arriver par la sculpture ; car, malgré moi, ma main continuerait, par routine, à reproduire les antiennes formes. Il me reste une seule ressource, c’est d’abandonner le ciseau et de prendre la palette pour pouvoir mettre une main vierge au service d’un idéal virginal. — Tête folle ! remarque le prélat connaisseur, il se peut qu’il échoue, probablement il fera un magnifique fiasco ; mais qui sait ? S’il devait naître un nouveau peintre, peut-être est-ce ainsi qu’il naîtrait, en sortant d’un musicien ou d’un poète, de quelque esprit enfin qui transporterait dans la peinture un idéal conçu ailleurs, et qui échapperait aux voies routinière par pure ignorance. »

Je ne sais si c’est l’histoire de M. Browning ; je serais assez porté à le croire, surtout d’après une idée qui se montre partout à l’arrière-plan de son Paracelse, à savoir que les tentatives de l’homme n’aboutissent à rien tant qu’il regarde seulement dans la direction des désirs qui le poussent à tenter et que sa destinée est de vouloir à droite ce qu’il ne pourra pas, pour acquérir les moyens de pouvoir à gauche ce qu’il ne voulait pas. En tout cas, l’opinion du prélat, avec les restrictions qu’y apporte M. Browning, est un profond aperçu. En philosophie, la plupart des novateurs n’ont innové qu’en se dirigeant d’abord loin des écoles et en rencontrant par hasard les phénomènes à expliquer avant d’avoir rencontré les explications déjà trouvées. En théologie, il en a été souvent de même, et l’auteur de Paracelse sait si bien par où passent les novateurs de ce genre, qu’on doit le soupçonner d’avoir passé par là. Lui poète, il semblerait qu’il n’ait d’abord songé qu’à satisfaire sa curiosité intellectuelle. On dirait qu’il s’est seulement aperçu de sa vocation en remarquant un beau jour, à son grand étonnement, comment il voyait se condenser en formes poétiques et vivantes les abstractions qu’il avait conçues à la poursuite des explications, et comment devant elles ses entrailles tressaillaient d’aise. Mais ces temps-là sont l’époque anté-historique de M. Browning. Le certain seulement, c’est qu’il a débuté à l’inverse des autres poètes. Les autres commencent d’ordinaire par des sensations, par des sensualités exubérantes ou par de grandes théories qui délaient dans des prétentions colossales une fort mince dose d’expérience. Ce d’est que plus tard et