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à la longue que les sensations elles-mêmes finissent par éveiller la raison à force de ne pas en tenir compte et de la blesser par leurs extravagances ! M. Browning ; au contraire ; s’est présenté tout de suite en homme qui avait réellement fait son tour du monde. « Cela était inné en moi, dit son Paracelse. Dès le début, je me suis trouvé debout, les pieds sur le terme où tous aspirent à arriver comme à la fin dernière de leurs efforts. Le secret de l’univers était à moi. » J’oserai en dire à peu près autant de l’écrivain lui-même. De prime saut, il avait trouvé l’originalité[1] ; et s’il était original comme poète, c’était parce que sa poésie impliquait une nouvelle manière d’envisager et de sentir l’ensemble des choses.

Original, — entendons-nous bien sur la portée de ce mot. La théorie la plus neuve est celle qui résume le mieux les notions relatives à une question - qui peuvent être éparses dans toutes nos connaissances antérieures. Un homme, est original ou supérieur, quand il résume le mieux un certain ordre de tendances éparses chez tous, quand il est le plus près d’être un chapitre de l’histoire générale de son temps et de sa race, dont ses voisins sont simplement des fragmens. C’est un chapitre de ce genre que j’avais déjà cru rencontrer chez M. Tennyson ; je crois en voir un autre chez M. Browning, et tel est avant tout le motif pour lequel il m’intéresse. Cette fois, il ne s’agit plus précisément des sentimens moraux et des facultés affectueuses qui remuent dans l’Angleterre contemporaine : M. Browning nous ouvre de nouvelles perspectives vers ce qui se passe dans les intelligences et dans d’autres facultés encore mal dénommées, mais fort rapprochées du sens religieux. En le lisant ; on sait mieux ce que tous cherchent sciemment nu à leur insu.

Mais d’abord que cherche-t-on ? ou, ce qui revient au même, quels sont ces caractères généraux de la poésie contemporaine qui se concentrent surtout chez M. Browning ? Une remarque d’un critique anglais nous mettra, je pense, sur la voie. Je ne la traduis pas littéralement, je la remanie même pour la faire coïncider avec mes vues ; mais j’en emprunte le sens : « L’imagination est la faculté de saisir et de symboliser les rapports. C’est elle qui peint la colère des flots en mettant en relief l’analogie qu’elle a sentie entre la tempête de la mer et les soulèvemens de la colère ; c’est elle aussi qui se rend compte d’une action humaine en reconnaissant dans le fait d’un seul ce qui se montre et opère chez des masses d’hommes ; c’est elle enfin qui, en s’élevant plus haut, assez haut pour embrasser du regard l’universalité des choses, distingue et fait ressortir dans chaque objet un plan général

  1. Antérieurement à Paracelse, M. Browning avait cependant publié un petit volume vers intitulé Pauline, qui jamais ne m’est tombé entre les mains.