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quel est-il ? L’anatomie du cheval. Géricault la connaissait à merveille, et l’écorché qu’il nous a laissé le prouve surabondamment. M. Barye ne l’a pas étudiée avec moins de soin, et les chasses exécutées pour le duc d’Orléans ne laissent aucun doute à cet égard. Il ne s’est pas contenté de regarder le cheval en action ; il a voulu connaître la raison des mouvemens, les attaches des muscles et la forme des faisceaux musculaires, la charpente générale du modèle, se rendre compte en un mot de tout ce qu’il avait observé. Cette méthode, si rarement suivie, parce qu’elle passe pour trop lente, est cependant la seule qui conduise au but. Quant à l’ours, on n’est pas habitué à le considérer comme digne de la sculpture. Tout au plus consent-on à le voir figurer dans les ornemens de l’orfèvrerie. M. Barye s’est chargé de réfuter cette opinion accréditée depuis long-temps, et de prouver qu’il n’y a pas dans la création un modèle indigne de l’art. À tous les degrés de l’échelle vivante, un œil exercé découvre le sujet d’une œuvre intéressante. Si la beauté est inégalement répartie dans la série des animaux, il est permis d’affirmer que toutes les forures pleinement comprises offrent au statuaire comme au peintre le sujet d’une lutte glorieuse. Imitées par une main habile, elles acquièrent une véritable importance. Ainsi l’ours même, qui, comparé au lion, au cheval, n’est certainement pas beau, peut cependant, sous l’ébauchoir ou le pinceau, prendre une sorte de beauté. Si le peintre ou le statuaire réussit à exprimer le mélange de force et d’indolence dont se compose le caractère du modèle, il est sûr de nous intéresser. L’ours de M. Barye satisfait à toutes ces conditions. L’exactitude de l’imitation n’a rien de littéral : c’est la vie prise sur le fait, le bronze respire. La forme est reproduite d’une façon tout à la fois si fidèle et si libre, que tous les mouvemens s’accordent avec l’action que l’auteur a voulu représenter. C’est un éloge que personne ne refusera au groupe de M. Barye, et la réunion de la fidélité et de la liberté dans l’imitation, qui semble indispensable dans toutes les œuvres, est assez rare pour que je prenne la peine de la signaler.

Dire que les cavaliers sont bien en selle, que les chevaux, pleins d’élan, sont dignes des cavaliers, ne suffirait pas pour caractériser le mérite de ce groupe. Il y a dans la disposition des figures dont il se compose une prévoyance, une adresse qui ajoute une valeur nouvelle à l’exactitude de l’imitation. La forme des chevaux contraste heureusement par son élégance avec les membres de l’ours, courts et ramassés. Dans cette œuvre, qui, par ses proportions, semble appartenir à la sculpture de genre, il n’y a pas un détail conçu au hasard ou rendu d’une manière incomplète. Tout est calculé, ordonné, combiné avec le même soin que s’il s’agissait d’une œuvre exécutée dans les proportions naturelles. Ceux qui jugent les œuvres du pinceau et du ciseau d’après leur dimension pourront trouver que le calcul a été poussé