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vint lui-même avec quelques hommes munis de torches et de haches. À peine avait-il franchi le seuil, qu’une nuée épaisse de chauves-souris, effrayées par l’éclat inusité des lumières, se précipitèrent sur les torches et les éteignirent, mais non cependant sans qu’on eut pu entrevoir une merveilleuse colonnade de stalactites formées de nitre pur. Pour des sens qui cherchaient partout les substances nécessaires à la fabrication de la poudre, c’était une faveur de la Providence. La Providence exigeait néanmoins qu’on respectât ces pilastres naturels qui soutenaient sans doute la voûte de la caverne, et don Ramon fut obligé de recourir à d’autres moyens. Un épais et immonde fumier jonchait le sol ; don Ramon y fit répandre du goudron mêlé de soufre et y mit le feu. Pendant quinze jours consécutifs, la flamme dévora dans la grotte tous les hôtes qu’elle abritait, et, quand l’incendie fut éteint, l’ingénieux partisan se trouva maître d’un repaire inaccessible où deux mille hommes pouvaient camper à l’aise, et dont le terrain saturé de salpêtre lui fournit abondamment les premiers élémens de la poudre à canon. Quatre forges y avaient été installées et mises en activité ; des moules furent fabriqués pour couler des canons ; c’était au moment où de nouvelles ressources semblaient sortir du sein de la terre que les deux aventuriers avaient pénétré dans la caverne. Don Ramon fit de vains efforts pour retenir à son service Andrès d’abord, puis Berrendo ; mais ni l’un ni l’autre n’avaient garde d’y consentir. Ils prétextèrent, pour refuser ses offres, des ordres du général don Ignacio qui les rappelaient vers lui.

Le soleil était encore élevé sur l’horizon, quand ils eurent regagné Pucuaro ; ce qui leur permit de consacrer le reste du jour aux préparatifs de leur voyage du lendemain. Andrès et Berrendo avaient, par hasard, leurs bourses bien garnies et., sans s’être en rien communiqué leurs projets, chacun d’eux se trouva, le matin devant la maison de la vieille avec deux chevaux harnachés et bridés dont ils avaient fait l’achat, l’un pour la mère, l’autre pour la fille. C’était un double emploi dont la première ne parut pas se plaindre. Quant à la seconde, en dépit de ses efforts pour se conformer aux leçons de sa mère et garder un dédaigneux et fier maintien, ses joues teintées de rose et ses yeux chargés des douces langueurs de l’amour naissant ne laissaient deviner en elle que bien peu d’aptitude pour le rôle qu’on lui imposait. À la vue des quatre chevaux que les deux galans avaient amenés, la mère de Luz lui lança un regard de triomphe ; mais la pauvre enfant, honteuse d’en comprendre la portée, n’y répondit qu’en ramenant son rebozo sur son visage pour cacher la rougeur de son front, comme la fleur du mimosa pudique referme ses pétales sous un trop rude contact. Le chercheur de traces examinait cette scène muette sans paraître la voir ; mais quand bien même il n’eût pas surpris les sentimens