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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/710

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secrets de la mère et de la fille, les dispositions de Luz n’auraient pas échappé à la pénétration de son regard. Deux des quatre chevaux furent destines à servir de relais pendant la route, et les femmes se mirent en selle avec l’aide des deus galans. Puis la vieille, s’adressant à l’un et à l’autre :

— Seigneurs cavaliers, dit-elle, vous êtes à présent responsables de la vie et de l’honneur de deux femmes.

— Puisse le premier ravin t’engloutir, duègne damnée ! Se dit Berrendo en tordant sa moustache.

Et le cortége se mit en marche pour Tehuacan.


III. – LE FAUCHEUR DE NUIT.

Tehuacan est situé dans l’état de Oajaca, Pucuaro dans celui de Iadolid, et ce n’était pas alors une tâche facile que de franchir en compagnie de femmes on avec un chargement de marchandises la distance de plus de deux cents lieues qui sépare les deux villes l’une de l’autre. C’était un long et dangereux trajet. Indépendamment du risque que courait tout cavalier mexicain armé d’être traité par les Espagnols comme insurgé, c’est-à-dire d’être pendu haut et court, sans forme de procès, au premier arbre qui se trouvait sur la route, les voyageurs pacifiques, les muletiers, les commerçans, étaient soumis à mille tribulations. La province de Oajaca surtout ; à cause de son commerce avec Puebla et les autres villes, avait plus à souffrir de cette époque qu’aucune autre province. Les convois à protéger servaient de prétexte aux commandans espagnols pour commettre toute sorte d’abus odieux. Chaque tranchée, chaque fortin était soumis à un péage. Non-seulement on y payait, suivant le caprice des chefs, de grosses sommes d’argent, mais les anciens droits féodaux semblaient ressuscités : les commandans prélevaient à leur profit, puis ensuite au profit de leurs soldats, un odieux tribut sur les malheureuses femmes qui s’approchaient de leurs résidences.

Les voyageurs durent bien des fois se résigner à faire de longs détours pour éviter les postes espagnols, et, sans la sagacité d’Andrès, il est probable qu’ils n’eussent pas pu arriver même sur les confins de l’état de Oajaca. C’était là que devaient se présenter les étapes les plus dangereuses ; heureusement le chercheur de traces, natif de ce même état, connaissait les moindres sentiers de ses bois comme de ses montagnes, et cette connaissance pratique était de nature à écarter les nouveaux périls qui venaient menacer la caravane. Pendant tout le trajet, la vieille femme avait habilement manoeuvré auprès des galans ; elle avait encouragé tout à tour leurs espérances. Luz, de son côté,