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sûr et même d’avancer sur ces terrains noyés : les routes, les sentiers, tout était confondu. Andrès lui-même, comme le limier dont la rosée ou l’extrême sécheresse paralyse l’odorat, ne savait quelle direction suivre. Il en était de même de la colonne de cavalerie, qui se traînait péniblement sur les pas des guides. Ceux qui marchaient en tête trouvaient encore sous les pieds de leurs chevaux un terrain assez solide ; mais le sol, pétri, labouré par eux, n’offrait plus à ceux qui venaient ensuite que des mares fangeuses ou le cheval et le cavalier se traînaient péniblement et souvent restaient embourbés. D’après les renseignemens que le chercheur de traces avait recueillis, on devait prendre la direction de l’est ; mais des marais impraticables empêchaient de suivre la direction indiquée : il fallut presque rebrousser chemin, et les hommes se décourageaient. Berrendo chevauchait en silence à côté du chercheur de traces, qui s’avançait sombre et résigné, prêtant l’oreille au sourd et imposant murmure des eaux lointaines, dont un rideau d’arbres cachait la vue.

— Nous sommes près d’un fleuve, dit-il, c’est un fait évident four un enfant même ; mais quel est ce fleuve ? c’est ce qu’il faut aller reconnaître tous deux. Venez avec moi, j’ai besoin de votre aide, car on dirait que Dieu m’a tout à coup retiré cette sagacité dont j’étais peut-être trop orgueilleux.

Les deux guides atteignirent bientôt le lit du fleuve annoncé ; mais le détour qu’il avait fallu faire ne leur permettait pas de décider si ce fleuve était le Playa-Vicente ou le Rio-Blanco. Berrendo prétendait que ce devait être le premier ; Andrès soutenait ; que c’était le second. Que ce fût l’un ou l’autre, il était urgent de chercher un passage. Le fleuve coulait profondément encaissé dans un lit de rochers si élevés, que ses eaux paraissaient noires et ténébreuses en dépit du soleil ; c’était comme un canal dont les berges, séparées par une distance de quarante pieds environ, formaient, de chaque côté, de gigantesques murailles à pic. Les bords du fleuve étaient envahis par une végétation puissante et semblaient complètement déserts. Des arbres majestueux poussaient de distance en distance sur la terre qui couvrait le roc ; cachés sous leur vert feuillage, ou balancés sur les lianes que le vent agitait, des milliers d’oiseaux mêlaient leurs chants à la voix mugissante du fleuve, et les bois voisins renvoyaient d’harmonieux échos avec la senteur amère des lauriers-roses.

— Vous voyez, dit Andrès, que ce fleuve ne peut être le Playa-Vicente, car rien ici ne révèle la présence de l’homme.

En tout cas, répond Berrendo, avant de pousser une reconnaissance plus loin, il sera prudent de nous faire soutenir par quelques hommes de ma compagnie que je vais aller chercher.