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par la pointe du poignard. — Oh ! Luciano, s’écria-t-il, ce n’est pas pour me ramener au camp que j’ai compté sur vous. Je compte sur votre poignard pour me délivrer du poids de la vie. Tuez-moi, Luciano, tuez-moi, par pitié !

— Jamais ! jamais ! reprit Berrendo ; mais Andrès renouvela ses instances d’une voix plus suppliante, et Berrendo sentit que la lutte contre cette suprême volonté d’un mourant devenait impossible : au moment même où il se refusait encore par la parole à exaucer les prières du chercheur de traces, son bras portait convulsivement deux coups de poignard dans le cœur d’Andrès. Celui-ci expira sans prononcer un seul mot, mais en remerciant Berrendo par un dernier sourire.

Le lendemain, Berrendo put regagner le camp du général Teran, et il suivit les débris du corps d’expédition dans leur mouvement de retraite vers Tehuacan. Arrivé dans cette ville, il n’eut rien de plus pressé que d’apprendre à Luz la mort d’Andrès ; il osa même se vanter de l’horrible service qu’il lui avait rendu. Les malédictions que la jeune fille appela sur sa tête, les larmes amères qu’elle versa, lui apprirent ce qu’il aurait dû deviner plus tôt : que Luz ne l’avait jamais aimé. — Sacrifiez-vous donc pour vos amis, se dit Berrendo en quittant Tehuacan. Il ne me reste plus qu’à me faire moine dans quelque couvent.

Berrendo toutefois ne donna pas suite à cette pieuse résolution, et, au lieu d’entrer au couvent, il se mit au service du terrible Gomez el Capador. Il prit part aux principales expéditions de ce chef impitoyable, dont il était le digne soldat, et quand la paix succéda aux luttes contre l’Espagne, échangeant la vie du guerrillero contre celle du chasseur, il vint partager dans les bois de San-Blas les fatigues des hommes qui en parcourent incessamment les vastes solitudes.


GABRIEL FERRY.