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offraient aucune surface pour y prendre pied. Il nagea néanmoins, en suivant le fil de l’eau, jusqu’au moment où, désormais incapable de lutter pour conserver sa vie, il se sentit englouti de nouveau dans le fleuve. Le sentiment de sa conservation ne l’abandonna cependant complètement, et il ne tarda pas à s’apercevoir que ses derniers et instinctifs efforts venaient de le faire aborder sur une des rives. Alors il perdit complètement connaissance.

Des heures entières s’écoulèrent sans que Berrendo reprît ses sens. Avec le déclin du jour, des voix jusqu’alors muettes commencèrent à s’élever dans les bois d’alentour ; les bruits du soir succédaient au silence des heures brûlantes du jour, et le cœur de Berrendo recommençait à battre en même temps que ces déserts inanimés recommençaient à vivre. Enfin au crépuscule, l’aventurier rouvrit les yeux, et la sensation d’une cuisante douleur lui apprit qu’il vivait encore. Il s’aperçut alors qu’il était couché sur une plage sablonneuse qui se déroulait comme un mince ruban le long de la base des rochers. À peu de distance de lui, deux cadavres étaient échoués sur le sable. Tout à coup un de ces corps, qui semblaient inertes, fit un mouvement et poussa un cri déchirant, horrible, qui fut répété par mille échos. Berrendo crut reconnaître la voix du chercheur de traces.

— Est-ce vous, Andrès ? s’écria-t-il pendant que ce cri retentissait encore au fond de son cœur.

— Ah ! c’est vous, Luciano. Dieu soit béni, reprit Andres ; venez que je sente votre main.

Berrendo s’approcha comme il put, tandis que les bras d’Andrès s’étendaient comme s’il eût cherché à étreindre quelque objet invisible.

— Ne me voyez-vous donc pas ? s’écria Berrendo ; et, avant qu’Andrès eût pu lui répondre, il remarqua qu’une blessure sanglante s’ouvrait à la place de l’œil unique du chercheur de traces : le malheureux était complètement aveugle.

— Je ne verrai plus la lumière du jour, ni Luz qui m’aimait, ni rien de ce qu’a créé la main de Dieu, reprit Andrès d’une voix brisée par la douleur ; mais heureusement, ajouta-t-il, Dieu vous a envoyé vers moi.

— D’étranges idées commençaient à traverser le cerveau de Berrendo. Le nom de Luz, prononcé par Andrès, venait de lui rappeler à la fois sa belle maîtresse et son rival, et il y avait au fond de son cœur un mélange de joie, de compassion et d’horreur.

— Je vous ramènerai au camp, dit-il ; les soins ne vous manqueront pas, et peut-être tout espoir n’est-il pas perdu.

Le malheureux Andrès tourna vers Berrendo son visage défiguré