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au cheval, jeune, vigoureux, hardiment accentué dans la partie humaine, appartient à la réalité par l’exactitude des détails ; l’idéal n’est intervenu que dans la réunion de ces deux natures et dans la conception du mouvement. Quant au Lapithe, je n’ignore pas qu’il soulève plus d’une objection ; mais il me paraît facile de répondre aux reproches que j’ai entendus. Il se cramponne avec ses genoux, avec ses pieds au corps de son ennemi, et les disciples fervens de l’antiquité trouvent que les genoux et les pieds n’offrent pas une ligne heureuse. Je ne conteste pas la vérité de cette affirmation ; seulement je me permets de révoquer en doute l’importance qu’ils y attachent. Le mouvement des genoux et des pieds, très vrai en lui-même, puisqu’il exprime très bien l’action, serait blâmable assurément s’il troublait l’harmonie générale du groupe, si, au lieu de s’accomplir sur les flancs du centaure, il s’accomplissait sur la partie antérieure ou postérieure ; mais, étant donnée la place que lui assigne l’auteur, il ne trouble en rien l’harmonie générale. C’est pourquoi je n’hésite pas à l’approuver, bien qu’il forme un angle désavoué par les pures traditions de l’art. La tête du centaure, étreinte par la main puissante du Lapithe, qui se débat convulsivement et que la massue menace, est une invention pleine de nouveauté, qui mérite les plus grands éloges. Un sculpteur de premier ordre pouvait seul concevoir un tel groupe et l’exécuter avec une telle franchise. Tous ceux qui s’étaient obstinés jusqu’à présent à voir dans M. Barye un sculpteur de genre sont obligés, devant le groupe du Lapithe et du Centaure, de renoncer à leurs restrictions et de voir en lui un sculpteur capable d’aborder et de traiter, dès qu’il le voudra, les sujets les plus variés, les plus difficiles. Qui donc en effet, parmi les maîtres chargés aujourd’hui de l’enseignement, ferait le groupe du Lapithe et du Centaure ?

C’est là certes une vie bien remplie, et cependant M. Barye n’a pas produit tout ce qu’il aurait pu produire, s’il eût trouvé dans les hommes chargés par l’état de distribuer les travaux plus de bienveillance, plus de sympathie et surtout plus de lumières. Le Centaure est acheté et sera fondu, en bronze ; c’est un acte de justice. Il était facile de faire mieux encore : il fallait doubler le modèle et le traduire en marbre. Ce groupe ferait aux Tuileries une excellente figure. Les occasions n’ont pas manqué pour employer dignement le talent de M. Barye. Malheureusement toutes ces occasions se sont résolues en promesses ou en commandes singulières, je pourrais dire ridicules. Un crocodile étouffant un serpent excite l’admiration ; l’auteur est chargé de modeler le buste du duc d’Orléans. Un lion réunit tous les suffrages ; on demande à l’auteur la statue de sainte Clotilde. De pareilles commandes ne ressemblent-elles pas à une gageure contre le bon sens ? La statue de sainte Clotilde, placée dans une chapelle de la Madeleine, n’est certainement