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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/804

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nous séparer. Je me suis plus d’une fois reproché d’être trop sévère pour vous ; peut être aurais-je dû l’être encore davantage…

— Oui, vous l’auriez dû, reprit vivement Rosita. Il fallait me repousser franchement, et ne pas m’absoudre du regard après m’avoir blâmée d’un mot. Si je suis une enfant, comme tous le dites, vous deviez me prendre en pitié et rire de ma folie… Mais non ; à quoi bon vous adresser des reproches ? Moi seule je suis coupable, don Patricio ; je me suis mise à vous aimer avec passion, sans savoir qui vous étiez, sans prévoir… Et vous, n’avez-vous jamais ressenti pour la pauvre Rosita un peu d’affection ? Mettez la main sur votre cœur, et répondez-moi.

La jeune fille, en adressant cette question à don Patricio, retira sa main qu’il avait prise et se plaça devant lui dans l’attitude d’OEdipe cherchant à deviner l’énigme du sphinx. Elle était petite, comme la plupart des femmes de son pays ; comme elles aussi, gracieuse et douée de ce charme, donayre, particulier aux Liméniennes, à quelque classe qu’elles appartiennent. Don Patricio, un peu embarrassé de cette attaque subite, fixa ses regards sur le front de Rosita, que la lune illuminait de ses pâles rayons, et, poussé par un mouvement irrésistible, il y imprima un baiser. Cette réponse en valait bien une autre ; la jeune fille, triomphante, sauta au cou de don Patricio avec des transports d’une joie qui allait jusqu’à l’extravagance.

— Maintenant, dit-elle après avoir réprimé ces élans impétueux, j’ai une grace à vous demander.

— Laquelle ? répondit avec une certaine inquiétude le lieutenant irlandais, qui se sentait entraîné plus loin qu’il ne l’aurait voulu.

— C’est de me prévenir de votre départ le jour où la frégate jettera l’ancre dans le port.

— Je vous le promets, dit don Patricio ; et plût à Dieu qu’elle arrivât bientôt, ajouta-t-il à voix basse, car on devient fou dans cet étrange pays !


VI

Le lendemain, don Patricio ne sortit point ; soit qu’il craignît de rencontrer sur son chemin cette naïve jeune fille à laquelle il n’avait plus le droit de ne pas répondre, soit qu’il voulût achever divers dessin ébauchés dans ses courses précédentes, il resta chez lui. Quand don Gregorio vint le voir, il le trouva ses crayons à la main, penché sur sa table. La vue du chanoine lui causa d’abord quelque embarras ; celui-ci s’en aperçut, et il se disposait à se retirer, mais don Patricio le retint.

Padre, lui dit-il, restez un peu, je vous en conjure. Je n’ai que peu de jours à passer à Lima, et je ne voudrais pas vous quitter