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sur un mensonge. Vous m’avez donné d’excellens, de paternels conseils, vous avez eu confiance en moi, et je vous ai trompé. – Puis, sans attendre les questions du chanoine qui le regardait avec moins de surprise que de tristesse, il lui conta tout d’un trait la conduite qu’il avait tenue à l’égard de Rosita ; comment, sans la repousser ni l’attirer à lui, il s’était plu à entretenir en elle une passion qu’il eût fini peut-être par partager.

— Vous ne m’apprenez rien, mon ami, répondit bravement don Gregorio. Depuis un mois, j’observe avec attention cette capricieuse enfant ; elle m’évite, elle secoue la tête quand je lui parle ; son visage est animé d’une joie qui n’est point celle du premier âge. Je voudrais pour beaucoup que vous fussiez parti.

Don Patricio avait peut-être omis de mentionner dans son récit sa réponse un peu trop éloquente à certaine question de la Rosita ; toujours est-il que cet aveu lui fit du bien. La conversation se continua sur les sujets qu’évoquait naturellement la pensée de leur séparation prochaine. En se quittant, ils se promirent de se trouver le lendemain matin à cheval à la porte de la ville et de pousser ensemble une pointe jusqu’au Callao. Don Patricio employa le reste de la journée à préparer le gros de ses bagages ; le jour suivant, il revêtit son costume de cavalier péruvien et courut rejoindre au lieu indiqué le chanoine, qui l’attendait déjà. Excités par l’air frais du matin, les chevaux piaffaient et caracolaient ; mais les deux cavaliers trouvaient trop de plaisir à se promener au pas sous les arbres chargés d’ombre et de rosée pour hâter leur marche. Des voyageurs plus pressés passaient en galopant montés sur de grandes mules au pied fin ; le pommeau de leurs selles, leurs étriers de bois, le manche du petit fouet qu’ils tenaient à la main, tout était incrusté d’argent et reluisait au soleil.

— Leurs ancêtres portaient ces ornemens en or, dit don Gregorio à son jeune ami ; leurs descendans, et eux mêmes peut-être, les porteront en acier. L’âge de fer est venu pour le Pérou ! Depuis que nous jouissons du bonheur d’être indépendans, notre beau pays se voit envahi par les discordes civiles et par la misère.

— Pardonnez mon indifférence, répondit don Patricio ; mais je ne puis croire aux souffrances d’un peuple qui, loin de se plaindre, s’abandonne avec une complète insouciance aux plus bruyans plaisirs. La nature a traité les Péruviens en enfans gâtés. Chez vous, point de longues et sombres nuits, point d’hiver. Lima laisse dans l’ame du voyageur un éternel souvenir ; et nous, habitans des froides latitudes, nous y croyons voir une image du paradis.

— Lima est le paradis des femmes, selon un ancien proverbe, répliqua don Gregorio, et l’enfer des ânes ! Voyez cet innombrable troupeau