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habituée à saluer comme des modèles de franchise et de loyauté. J’aime mieux l’amertume sincère que la sérénité menteuse. Si Joseph Delorme a dit vrai en parlant de lui-même, s’il n’a rien exagéré en affirmant qu’il ne pouvait s’empêcher de répondre au dévouement par l’ingratitude et, pour ma part, j’aime à penser qu’il s’est trompé, ce n’est pas moi qui lui reprocherai la crudité d’un tel aveu.

L’ivresse de l’amour, l’extase de la passion, sont d’ailleurs retracées dans les Poésies de Joseph Delorme avec une vivacité d’accent, une ardeur de langage qui révèlent chez le poète une nature meilleure et plus généreuse : il a pris soin lui-même de se réfuter ; il a trouvé, pour la fuite des heures que l’ame voudrait enchaîner, des paroles empreintes d’un regret profond, et qui rachètent bien des blasphèmes. Je lui pardonne tout le mal qu’il a dit de lui-même, toutes les paroles impies qu’il a prononcées sur le néant de l’amour et la duperie du dévouement, en faveur de ces vers éclos dans son cœur, au bruit de la valse, à la lueur des bougies pâlissantes. De tels regrets, si éloquemment, exprimés, n’appartiennent qu’à des cœurs vraiment capables d’aimer. Aussi, tout en reconnaissant que la nature de Joseph Delorme, telle du moins qu’elle se révèle à nous dans ses essais lyriques, n’est pas une nature complète, tout en acceptant comme vrais plusieurs des reproches qu’il s’adresse, je me sens disposé à l’indulgence. Il y a chez lui plus de malheur que de malignité. Il désire plus qu’il ne veut, et, quand il lui arrive de vouloir sérieusement, il ne mesure pas sa volonté à sa puissance : de là ses plaintes et ses blasphèmes.

Les Consolations nous offrent le talent poétique de M. Sainte-Beuve sous la forme la plus heureuse et la plus complète. Quoique ce recueil ait suivi de très près les Poésies de Joseph Delorme, il signale dans la carrière littéraire de l’auteur un progrès éclatant. Tout ce qui était ébauché dans le premier livre se trouve achevé dans le second. Je vois dans les Consolations l’épanouissement spontané d’une riche intelligence qui jusque-là n’avait pas encore révélé toute sa splendeur, toute sa variété. Si M. Sainte-Beuve eût gardé fidèlement le style de ce dernier livre, sa place serait marquée dans les premiers rangs de nos poètes. Il règne dans toute la série des idées qu’il met en œuvre une élévation constante, et pour être juste je dois ajouter que l’expression se maintient toujours à la hauteur de la pensée. Bien que le sujet soit parfois d’une nature mystique, il n’y a pas une page des Consolations qui mérite le reproche d’obscurité. Le lecteur suit sans inquiétude, sans trouble, sans hésitation, le développement du thème choisi par le poète. Il sent que ce thème, mûri lentement par la réflexion, va porter des fruits savoureux, et son attente n’est pas déçue. Les Consolations se distinguent de Joseph Delorme sous le rapport moral aussi bien que sous