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le rapport littéraire. Non-seulement le style est plus limpide, plus transparent ; mais la pensée, plus sereine, plus paisible, embrasse un plus vaste horizon. Dans ce second recueil, l’imitation tient très peu de place. Si le récit débute quelquefois à la manière de Crabbe, il se poursuit et s’achève par un procédé qui n’a rien à démêler avec les œuvres du poète anglais. Pour caractériser nettement le mérite moral et poétique des Consolations, deux pièces me suffiront : l’une inspirée par un sonnet de Michel-Ange, l’autre par un passage de la Vie nouvelle. La manière savante dont M. Sainte-Beuve a traité ces deux pièces montre clairement qu’il possède tous les secrets de son art. La simplicité du début, l’agrandissement progressif de la pensée, les transitions inaperçues qui relient sans effort les diverses parties de la composition, ne laissent aucun doute sur la prévoyance qui a présidé à la conception, à l’achèvement de l’œuvre. Rien d’inutile, rien de fortuit. Le poète ne perd pas de vue un seul instant le but qu’il veut toucher, et sait d’avance la route qu’il suivra. Il traduit d’abord dans une langue harmonieuse et pure le sonnet de Michel-Ange, et répond au peintre immortel comme s’il avait besoin d’être consolé, comme s’il n’avait pas vu face-à-face la vérité suprême devant qui toute douleur se tait et s’apaise. Michel-Ange, dans les dernières années de sa vie, si nous acceptons comme sincère son propre témoignage, si le sonnet dont je parle n’est pas un caprice de son génie, n’envisageait qu’avec une pitié dédaigneuse les œuvres que nous admirons, et qui assurent à son nom les louanges de la postérité la plus reculée. Livré tout entier au salut de son ame, il s’affligeait d’avoir pratiqué si long-temps le culte de la beauté, d’avoir si long-temps négligé la prière pour lutter de puissance et de fécondité avec les œuvres divines. Il s’accusait d’avoir oublié la voie qui conduit l’ame sainte aux pieds de son Créateur pour s’enivrer de gloire et d’applaudissemens. À vrai dire, les deux biographes de Michel-Ange ne vont pas si loin dans l’expression de ses sentimens religieux. Toutefois M. Sainte-Beuve avait le droit de le croire sur parole sans discuter, sans contrôler son témoignage, et j’aurais mauvaise grace à le chicaner sur sa crédulité, car le sonnet de Michel-Ange est devenu pour lui le sujet d’une éloquente réfutation. Non, l’art pratiqué dans toute sa sincérité n’est pas une œuvre profane. Ce n’est pas méconnaître et oublier Dieu que d’étudier la création et d’essayer de la retracer dans toute sa magnificence. Les Sibylles et les Prophètes, la Genèse et le Jugement dernier de la chapelle sixtine ne méritent pas la compassion d’une ame chrétienne. Non-seulement ils nous représentent le Créateur dans sa bonté, dans sa justice, dans sa puissance ; mais, abstraction faite du sujet, le génie même à qui nous devons ces œuvres immortelles rend hommage à Dieu en se révélant pleinement. L’épanouissement complet des facultés qu’il a reçues du ciel est une forme de la reconnaissance.