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Cet enfant élevé jusqu’à vingt ans dans l’ignorance de son père, nourri d’enseignemens religieux, habitué à chercher la source du devoir dans la volonté divine plutôt que dans la raison humaine, et qui recule épouvanté devant le nom qu’il a cherché, si long-temps, est à coup sûr un sujet d’attendrissement et de pitié. Sa vie tout entière offerte en expiation des fautes de son père nous frappe de surprise et d’admiration. Le fils de Jean-Jacques Rousseau, abandonné à l’hôpital, recueilli par une main pieuse, se faisant maître d’école pour réparer, autant qu’il est en lui, par ses leçons de chaque jour, le mal que son père a fait, pour préserver la génération nouvelle des doctrines téméraires qui ont égaré tant d’ames ardentes, c’est là sans doute un thème vraiment poétique. Le pèlerinage de M. Jean, entouré de sa jeune famille, ou plutôt de ses ouailles, aux lieux mêmes qui sont désormais associés sans retour au nom de Jean-Jacques, la parabole évangélique offerte aux écoliers en face du ciel qui sourit à ce pieux enseignement n’est certes pas une idée vulgaire. À quelque point de vue qu’on se place, qu’on juge Monsieur Jean au nom de la foi catholique, on qu’on le juge au nom de la philosophie, qu’on accepte ou qu’on répudie l’anathème lancé par l’église contre Jean-Jacques Rousseau, il est impossible de méconnaître la grandeur et la nouveauté de la donnée choisir par M. Sainte-Beuve. Pourquoi faut-il que cette donnée si neuve et si féconde nous soit présentée dans une langue tour à tour obscure jusqu’à l’énigme ou prosaïque jusqu’à la vulgarité, hérissée d’ellipses, sillonnée de sous-entendus, capable en un mot, d’irriter les esprits les plus bienveillans ? Et non-seulement l’histoire de M. Jean est écrite d’un style qui semble chérir les ténèbres mais elle se traîne et s’éparpille avec une lenteur, une prolixité qui lasse l’attention la plus robuste. Tous les traits que j’ai rassemblés en quelques lignes se laissent à grand’peine deviner au milieu des innombrables parenthèses qui interrompent à chaque instant le récit. Dans ce poème qui n’a pas moins de huit cents vers, il n’y a pas trace de composition ; les idées se succèdent, mais elles ne s’enchaînent pas. Qu’il s’agisse de nous attendrir ou de nous étonner, d’exciter notre admiration ou notre pitié, l’auteur ne prend jamais la peine d’achever une image après l’avoir ébauchée, de soutenir une comparaison après l’avoir indiquée : c’est un pêle-mêle de notes rassemblées pour un travail qui n’est pas fait. Pour quiconque a étudié le style de Monsieur Jean, la destinée malheureuse des Pensées d’Août ne saurait être un sujet d’étonnement. Certes il y a de l’injustice à dire que ce livre est sans valeur ; mais je comprends très bien que les admirateurs mêmes des Consolations aient abandonné la partie à moitié chemin. Les Pensées d’Août sont plutôt un recueil de ce qu’on appelle au collège matières poétiques, une série de thèmes proposés à l’imagination du lecteur, qu’un livre de poésie, car la donnée la plus riche