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ne mérite le nom de poème qu’après avoir revêtu une forme vivante et précise : c’est une condition qui n’est jamais méconnue impunément. L’idée poétique est au poème ce que la semence est ) l’épi ; ce que la terre nourricière fait pour le grain déposé dans son sein, la forme le fait pour l’idée qui lui est confiée. M. Sainte-Beuve, en écrivant ses poésies, a trop compté sur le bon vouloir et la patience de ses lecteurs, au lieu d’un texte à lire, il leur a offert un texte à déchiffrer et ceux qui à force de persévérance ont réussi à trouver la clé de cette langue nouvelle, tout en reconnaissant la grandeur des pensées jetées confusément dans ce carnet poétique, ont accepté sans colère et sans dédain la destinée de ce livre. Ils n’ont pas accusé la foule de mauvaise foi ou d’ignorance, car ils ont compris que la foule trouvait dans le style même de M. Sainte-Beuve l’excuse de son indifférence. Pour ma part, bien, que j’aie rencontré dans les Pensées d’Août plus d’une page émouvante, Je suis obligé d’avouer que mon émotion a été souvent troublée ou plutôt anéantie par un mot inattendu, une phrase indécise, une ellipse impénétrable. Pour estimer le talent poétique de M. Sainte-Beuve à sa juste valeur, il faut oublier les Pensées d’Août et relire les Consolations. Je les ai relues avec bonheur, et c’est au nom même de l’admiration qu’elles m’inspirent que je condamne les Pensées d’Août.

Le roman de M. Sainte-Beuve se rattache à ses poésies par un lien très étroit, et cette parenté morale est trop évidente pour avoir besoin d’être démontrée : il suffit de l’affirmer pour que chacun la reconnaisse. Joseph Delorme et les Consolations contenaient le germe de Volupté, et j’ajouterai que Volupté contenait le germe des Pensées d’août. Cette intime relation ou plutôt cette identité du poète et du romancier ne doit pas nous étonner, car, bien que M. Sainte-Beuve ait embrassé l’art d’écrire comme une profession et soit demeuré fidèle au rêve de ses premières années, il faut le dire à sa louange, chez lui l’écrivain se confond toujours avec l’homme. La pratique de l’art d’écrire ne l’a pas conduit comme tant d’autres à séparer la parole de la pensée, à mettre sa parole au service d’une pensée quelconque ; c’est pourtant ce qu’on appelle aujourd’hui le triomphe du talent. M. Sainte-Beuve n’a jamais exprimé que ce qu’il avait senti, ce qu’il avait pensé. Je ne suis donc pas surpris que Volupté rappelle en maint endroit Joseph Delorme et les Consolations, et présage parfois les Pensées d’août. C’est une conséquence logique et nécessaire de la sincérité de l’auteur.

Le sujet de Volupté est d’une nature très délicate, et la philosophie peut le revendiquer aussi bien que l’imagination Il s’agit en effet de montrer que la volupté énerve toutes nos facultés, nous rend en peu d’années incapables de sentir, de comprendre et de vouloir, et fait de nous, impuissans désormais pour notre propre bonheur, un fléau terrible