trop bien les ressources de notre langue, il a trop étudié les métamorphoses de l’idée poétique depuis le moment de la conception jusqu’au moment de l’éclosion pour se méprendre sur le sens de mes paroles. Il n’a pas toujours dit très nettement ce qu’il avait à dire, et parfois aussi il a tenté d’exprimer des sentimens qui pour lui-même n’avaient pas de caractère bien défini. Je pourrais au besoin étayer cette affirmation de faits précis.
Toutefois ces restrictions, purement techniques, n’enlèvent rien à mon admiration pour le roman de M. Sainte-Beuve. Ce n’est pas une œuvre de pure fantaisie, mais une œuvre qui a sa raison d’être. Toutes les pages portent l’empreinte d’une conviction profonde et d’une douleur réelle. Il est évident que l’auteur a vu ce qu’il nous montre et sonde les plaies qu’il expose à nos yeux. La vérité suffirait pour commander la louange, et l’auteur a plus d’une fois traduit la vérité en paroles éloquentes. Ainsi le mérite de la forme s’ajoute à la valeur morale du récit, et ce livre, publié il y a dix-sept ans, garde encore aujourd’hui toute sa nouveauté. Le vice qu’il nous retrace n’est pas déraciné. Les guérisons qu’on peut citer n’empêchent pas le mal de se reproduire.
En écrivant l’histoire de Port-Royal, M. Sainte-Beuve ne paraît pas avoir compris toute l’étendue de sa tâche. Après avoir envisagé toutes les faces du sujet, il a cru qu’il pouvait librement choisir celle qui raccordait le mieux avec, ses goûts, ses habitudes, les études de toute sa vie. Quant à moi je pense que le choix n’était pas permis. Je ne conçois, pour un homme qui n’écrit pas au nom de l’église, qu’une seule manière de traiter un tel sujet : c’est de l’embrasser tout entier et de ne reculer ni devant la question théologique, ni devant la question philosophique. S’en tenir au côté purement littéraire est, à mes yeux, une grave méprise, et je m’étonne que M. Sainte-Beuve ait pu la commettre. Quel que soit en effet le talent de l’auteur, quels que soient le nombre et la valeur des documens mis à sa disposition, il aura beau faire, il aura beau prodiguer les anecdotes ignorées, multiplier les rapprochemens inattendus, il ne réussira jamais à contenter le lecteur sérieux. Port-Royal littéraire n’est pas même la moitié de Port-Royal, et pourtant le livre tout entier de M. Sainte-Beuve se réduit à l’histoire littéraire de Port-Royal. La première partie nous offre une suite de documens curieux sur l’origine et la renaissance du monastère ; la seconde expose la vie et les travaux de M. de Saint Cyran ; la troisième est remplie par Pascal ; la quatrième par les écoles de Port-Royal ; la cinquième et la sixième, encore inédites, contiendront la seconde génération de Port-Royal et Port-Royal finissant. Les trois volumes que nous possédons n’offrent certainement pas une lecture attrayante, et cependant l’auteur semble avoir pris à tâche d’éviter toutes les parties épineuses