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des vérités que j’ai cherché à démontrer ? Vous qui êtes les colonnes de la foi, vous savez assez par vous-mêmes ce que valent ces vérités. » Et en effet Descartes partait de la connaissance de l’ame humaine pour s’élever jusqu’à la connaissance de Dieu, et sur cette double connaissance il fondait la moralité, la responsabilité de la créature intelligente, la prévoyance et la justice du Créateur. Certes, il n’y a rien d’impie dans une telle doctrine, et la faculté de théologie pouvait la prendre sous son patronage sans se compromettre. La lecture des Méditations, où dans le court espace de quarante pages se trouvent posées et résolues toutes les questions capitales de psychologie et de théodicée, n’éveille pas dans l’ame un seul doute sur la valeur des traditions chrétiennes. Tout ce qui se rapporte à la foi proprement dite demeuré en dehors de la discussion, et le bon sens le voulait ainsi, car l’idée de Dieu, telle que la conçoit l’intelligence humaine, sans autre secours que l’idée de cause et d’effet, n’a rien à démêler avec les formes de la religion. La théologie et la philosophie ne peuvent jamais se confondre sans se dénaturer.

Mais, si le cartésianisme ne touche pas à la foi proprement dite, il ne laisse pas debout la doctrine de la grace. Le philosophe du XVIIe siècle, en renouvelant les bases de la science, répond implicitement à l’évêque du Ve siècle. Il est impossible, en effet, de concilier la notion de Dieu, telle que nous la voyons exposée dans les Méditations, avec la notion de la grace ; telle que la conçoit et l’enseigne saint Augustin. C’est donc, par le cartésianisme qu’il fallait combattre le jansénisme. Ici le devoir de l’historien ne se bornait pas à l’enregistrement des faits, la discussion des doctrines était de nécessité absolue ; et, bien que le jansénisme, par les persécutions qu’il a subies, mérite toutes nos sympathies, l’historien, je le crois, pour ne pas faillir à sa tâche, ne pouvait se dispenser d’opposer Descartes à saint Augustin. Ce n’est pas que la philosophie, long-temps avant Descartes, ne fournisse des argumens nombreux contre la doctrine de la grace, c’est-à-dire en faveur de la liberté, de la responsabilité humaine. La philosophie antique, la philosophie même du moyen-âge, ont établi à leur manière les vérités que Descartes a rajeunies sans les inventer. La méthode seule est nouvelle, les conclusions sont aussi vieilles que la raison. Dès que l’homme a réfléchi, dès qu’il a eu conscience de lui-même, il a eu conscience de sa liberté ; que cette vérité passe par la bouche de Platon ou de Descartes, elle ne change pas de nature. Cependant, comme l’Augustinus n’a pas précédé de dix ans les Méditations, il était naturel de répondre par les Méditations à l’Augustinus. C’eût été, à mon avis, entrer dans le cœur même du sujet. Descartes en face de Jansenius eût fait assez bonne figure. M. Sainte-Beuve, qui depuis long-temps s’est nourri de lectures si variées, n’avait pas à redouter le reproche de sécheresse ; il eût