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pris d’un malaise poignant. Sous le poids de cette oppression, nous devînmes commes sourds, et cet état était rendu plus sensible par le silence absolu qui nous environnait. Un tel anéantissement, finit par produire une sensation pénible, qu’on regrette cependant quelquefois quand on se trouve au milieu du tumulte de Paris. Je m’aperçus de ma surdité parce que je n’entendais plus ma propre voix, ni celle de mon intrépide conducteur ; un bourdonnement assez fort dans les oreilles m’incommodait aussi beaucoup. Nous voulûmes encore consulter la boussole ; mais, comme à la deuxième ascension, elle ne fonctionnait plus. Nous apercevions les plaines de la Belgique sillonnées le chemins de fer et de routes qui se confondaient à nos yeux. Nous restâmes stationnaires sur ce point pendant une demi-heure, mon pouls battait quatre-vingt-dix-huit pulsations à la minute ; nous avions la gorge sèche, la respiration pénible ; un violent assoupissement nous dominait, et nous étions obligés de nous tenir fréquemment debout pour ne pas succomber. M. Godard jeune s’enveloppa d’une couverture, se coucha au fond de la nacelle, et s’endormit aussi tranquillement que s’il eût été dans son lit. L’aîné voulut en faire autant et me confier la surveillance de l’aérostat, me recommandant seulement de le réveiller lorsque le ballon commencerait à descendre. Je repoussai énergiquement cette marque de confiance, me sentant incapable de supporter une pareille responsabilité et de remplacer, même pour un moment, deux hommes qui accomplissaient, l’un sa trente-quatrième, l’autre sa quatre-vingt-cinquième ascension. Nous résolûmes donc de nous tenir mutuellement éveillés.

Vers dix heures, le ballon commença à descendre rapidement, puis s’arrêta de lui-même à 1,000 mètres environ à la surface des nuages. Après une station de quelques instans, M. Godard, voyant que la descente cessait complètement, ouvrit plusieurs fois la soupape ; mais la chaleur des rayons du soleil, augmentant la dilatation, favorisait la résistance. M. Godard lâcha obstinément du gaz, et nous traversâmes enfin la couche des nuages. Nous revîmes la terre, mais plus éloignée que nous ne le pensions : l’humidité des nuages et l’absence des rayons du soleil condensèrent promptement le gaz, et, comprimant la partie inférieure du ballon, le firent descendre rapidement. Comme nous avions très abondamment dépensé de force ascensionnelle, il fallut alors prodiguer le lest, et notre provision se trouva bientôt épuisée.

Cependant notre course pouvait se prolonger. Pour la première fois nous manquâmes de présence d’esprit ; nous oubliâmes les banquettes qui garnissaient notre nacelle. Allégé de leur poids, le ballon eût pu nous conduire bien plus loin et sur un terrain plus favorable. Nous fûmes forcés, malgré nous, de céder au mouvement de descente, et nous le ralentîmes autant que cela nous était possible. M. Godard jeune