Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/915

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compte de nombreux chansonniers, en tête desquels marchent MM. Desrousseaux et Danis, tous les deux poètes drolatiques et burlesques, et qui ont également tous les deux publié plusieurs recueils de chansons. Beaucoup d’ouvriers composent aussi des chants patois qui sont imprimés sur des feuilles volantes et se vendent généralement à un assez grand nombre d’exemplaires. Les idées mises en œuvre dans toutes ces poésies n’ont rien de bien original : ce sont le plus souvent de nouvelles paroles sur des thèmes très connus ; mais il s’y trouve des couplets assez drôlement tournés et des scènes de la vie habituelle fort exactement rendues. Presque jamais on ne touche à la politique. Les sujets sont pris dans la région de la fantaisie, ou bien tirés de quelque circonstance fortuite de la vie locale. Tout devient matière à chansons : une fête, un concert, un ballon lancé, etc. Ainsi dernièrement une société musicale de Lille recrutée dans différentes classes sociales et désignée sous le nom bizarre de société des Crick Mouls, dont personne n’a pu me dire l’étymologie, est conviée à un concours de musique ouvert par la ville de Troyes. Les enfans de Notre Dame de la Treille[1], si hospitaliers chez eux, ont trouvé très parcimonieuse l’hospitalité des Champenois. Leur déconvenue forme tout de suite, pour M. Desrousseaux, le sujet d’une chanson assez piquante intitulée l’Garchon Girotte au concours de Troyes. Sous ce titre, M’Cave et min Guernier (ma cave et mon grenier), un ouvrier tapissier a composé quelques couplets à propos de la discussion parlementaire relative aux habitations des ouvriers de Lille. Je choisis cette chanson pour en citer quelques passages, comme une peinture très significative de certaines préférences de la classe ouvrière. C’est l’apologie de la cave et la réprobation du grenier.

On a lu sur l’a gazette,
Dins chés derniers jours,
Sur les cav’s et les courettes
Gramint (beaucoup) d’longs discours.

Chés monsieux ont mis d’s’intraves
Dins min p’tit métier,
Y me f’ront sortir de m’cave
Pour mette au guernier.

Y m’ont dit, chés gins habiles :
« Vo cave est malsain. »
J’y vivos avé m’famille
Sans besoin d’médecin…

Allons, y n’y a point d’répliques,
Du moins j’intindrai

  1. Notre-Dame-de-la-Treille est la patronne de la ville de Lille.