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partial comme le sont presque tous les historiens du XVIe siècle, quel que soit d’ailleurs leur drapeau. Un fait surtout nous a frappé en parcourant ces pages d’un bourgeois obscur et oublié, qui eut pour horizon que l’enceinte de sa ville, et ce fait, c’est la parfaite similitude qu’offrent entre elles toutes les agitations populaires, sur quelque théâtre qu’elles se manifestent, dans la vaste étendue d’un royaume, d’une république, ou dans l’étroite banlieue d’une ville. Certes, il a raison l’avocat Payen, et c’est notre histoire qu’il écrit par anticipation lorsqu’il dit, au début de sa Chronique, que, lorsqu’on veut « altérer l’ordre des estats, » on commence par « se targuer du nom du bien publicq, » et que la meilleure ruse pour attirer un peuple à la sédition, c’est de lui promettre « liberté et exemption des tailles et gabelles ; » car « c’est ainsy que se couvre ordinairement tout usurpateur qui faict parade d’un prouffit publicq et, réformation d’estat, affin que le peuple charmé avec ung sy honneste tittre ne voye la corruption de celuy quy ne désire aultre chose que tout engloutir pour resaissement de sa grande et insatiable convoitise. » L’usurpateur à Arras, c’était le prince d’Orange ; ses partisans, c’étaient les calvinistes, et l’instrument des calvinistes, c’était le peuple, dont l’immense majorité cependant était catholique, mais qui, habilement exploité par des meneurs, suivait les calvinistes dans l’espoir de s’enrichir du bien des églises et des abbayes. La bourgeoisie, comme toujours, resta indifférente aux premiers symptômes d’agitation ; et elle ne se réveilla « d’ung somme profond » qu’au moment où elle se vit sérieusement menacée par le peuple, auquel on avait distribué les armes déposées à l’hôtel de ville et appartenant aux bourgeois. Maître Pontus Payen remarque à ce propos qu’il n’est pas « expédient pour la seureté publicque d’armer indifféramment tout le monde, » et il cite à l’appui de cette opinion l’exemple des Mitéléniens et des Groeqs, comme nous pourrions citer aujourd’hui l’exemple de la garde nationale de 1848. L’un des premiers actes du peuple révolutionné fut de nommer un gouvernement de quinze tribuns, et d’envahir l’échevinage où se trouvaient les magistrats légalement institués : ce fut le 15 mai de cette émeute. À cette occasion, maître Pontus Payen fait les réflexions suivantes, qui ne manquent pas d’à-propos : « Au temps que le magistrat estoit en honneur, — je ne parle que d’un ang auparavant, — la sommation d’ung petit sergent faisoit comparoir les plus braves, et ung papier de quatre doigts de largeur attaché à l’une des colonnes de la halle faisoit trembler les plus furieulx ; le nom du magistrat estoit tant révéré que le meilleur gentilhomme de la cille n’eust voullu présumer d’entrer dans la chambre du conseil qu’en demandant audience en toute humilité ; mais dans ce jour je vis cette chambre indignement prophaner, et fouller aux pieds par ung tas de belistres et infames poltrons l’auctorité du magistrat, et ny avoit lors homme sy hardy s’il ne eust esté fasché de vivre qui eust ausé dire seullement :: enffans vous faictes mal, celuy d’entre eulx quy se monstroit le plus insolent estoit tenu pour meilleur patriot ; et il me souvient d’ung de la troupe le quel monta sur la bancq des échevins., ung aultre engoua son arcquebuze le cocquelet abbaissé pour tirer le conseilter de ville… Ce galand quy venoit de fort bons parents avoit dissipé son bien par prodigalité et mauvais gouvernement… Il estoit tellement suprins de vin qu’il ne se cognoissoit soy mesme, etc. » Nous ne multiplierons pas les citations ; il nous suffira de dire que les rapprochemens de ce genre se