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dépendance absolue de l’Espagne. Le régime auquel elle est soumise est le même qu’il y a un siècle : c’est l’autorité souveraine du capitaine-général, tout à la fois chef civil et militaire, président de l’audience, surintendant des finances, et même investi du vieux titre de vice-patron religieux des Indes. Les révolutions ont touché à la couronne d’Espagne elle-même, elles n’ont point touché à cette souveraineté absolue qui change de mains tous les cinq ans. Voici une observation qu’on pourrait faire, il nous semble, en décomposant la situation politique de Cuba : d’un côté, dans les circonstances décisives, publiques, Cuba est demeurée invariablement fidèle à l’Espagne ; elle n’a ni recherché ni accueilli les occasions qui pouvaient favoriser peut-être quelque tentative d’affranchissement. À notre sens, cette fidélité est sincère ; elle participe d’un instinct de solidarité nationale et de la réflexion. D’un autre côté, des mécontentemens, des plaintes, des irritations éclatent fréquemment ; des velléités ou des désirs de réformes peuvent ressembler à des conspirations latentes. Nous ne parlons pas des insurrections terribles de noirs qui se sont produites en 1841 et 1843, et constituent un élément à part. Que faut-il conclure de ces faits et de ces dispositions en apparence contradictoires ? C’est qu’il y a bien évidemment au-dessus de tout un intérêt permanent, supérieur, qui relie Cuba à l’Espagne, et qu’il est en même temps des germes d’inquiétude, de malaise qui fermentent dans cette société impressionnable et ardente : double enseignement qui mérite d’être médité par la métropole et par la colonie, — par l’Espagne, si elle veut conserver son ascendant sur ses dernières possessions américaines, — par Cuba, si elle veut défendre son indépendance comme société de vieille souche espagnole contre les convoitises qui l’observent pour s’en saisir et l’absorber.

Quelles sont, au fond, les conditions et les tendances morales de cette société cubanaise jetée au sein des mers, sous un ciel étincelant, au milieu d’une nature opulente ? Ces conditions et ces tendances se déduisent naturellement des traditions, de ce régime politique dont nous parlions, de la séduction du climat, de la coexistence des races esclaves à côté de la race libre, et des nuances diverses de la population créole elle-même. Sans doute, ce qui fait le fonds de la société cubanaise, c’est toujours la nature espagnole, mais la nature espagnole transplantée sous les tropiques et empreinte d’une originalité nouvelle et locale. Ne demandez point à cette nature la force, l’énergie exubérante et brutale, les vertus ou les vices de la race anglo-américaine, sa voisine. Elle a plutôt tous les caractères opposés : un raffinement excessif d’instinct aristocratique, les habitudes d’une oisiveté somptueuse, l’amour du plaisir jusqu’à l’ivresse, l’imprévoyance prodigue que donne la prospérité facile, un mélange singulier de vivacité et de langueur, d’indolence et d’ardeur dans le sang. Tous ces élémens