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nous semble, chevaleresque et élégant ; — oui, élégant, avec son pantalon blanc, sa chemise au col rabattu et retenu par un mouchoir au nœud flottant, son chapeau de paille à larges bords, ses éperons d’argent rattachés par un ruban de satin et son machète à la poignée incrustée de pierreries passé dans sa ceinture de soie. Le guajiro a les goûts rustiques et simples, lame ardente et poétique ; il vit de peu matériellement et fait de sa vie une sorte de poème de toutes les passions et de tous les entraînemens. Il est poète, musicien, beau danseur, enthousiaste et jaloux dans ses amours, idolâtre des combats de coqs et de son cheval, joueur, querelleur et souvent brouillé avec la justice. Le guajiro a l’humeur libre et vagabonde, et transporte facilement ses légers pénates. Quand un site lui plaît, il s’y fixe pour quelque temps ; il élève sa maison, dont les élémens primitifs sont quelques arbres, des bambous, de la fouille et de l’écorce de palmier. Autour de l’habitation, le guajiro marque son domaine : un jardin composé de quelques caballerias de terre, où mûrissent avec une merveilleuse rapidité des légumes et des fruits prodigieux, où se pressent le bananier, le camphrier, le vanillier, l’arbre à gomme et d’innombrables cactus en fleurs exhalant des parfums enivrans. Un jour suffit pour la fondation d’un de ces établissemens peu durables, grâce aux voisins que le guajiro appelle à son aide et qu’il tête, dans sa maison à peine debout, d’un cochon de lait rôti. Comparez ce genre de créations improvisées et mobiles avec la manière dont se forme ce qu’on nomme l’abeille dans l’Amérique du Nord, et vous aurez, comme dans un éclair, la révélation subite de la différence de deux races.

Que le guajiro change de contrée au reste, n’est-il pas toujours sûr de rencontrer partout les mêmes prodigalités de la nature et la même générosité dans un sol qu’il suffit d’effleurer pour en faire jaillir cinq ou six récoltes par an ? Cette absence de préoccupations matérielles cette certitude d’une vie facile se reflètent dans le caractère et les habitudes du guajiro. Le matin, dit un des peintres de cette race bizarre, le guajiro se lève avec le soleil. Son premier soin est de ceindre son machète, poignard à la lame recourbée, de chausser ses éperons d’argent ; puis, sautant sur son cheval, il s’élance à travers les campagnes odoriférantes, un d’un cafetal à une sucrerie, de la sucrerie à une taverne, ou passe la journée aux combats de coqs. Le soir, à la clarté des étoiles, caché dans une de ces haies d’orangers, guarda-rayas, qui entourent les caféières, non loin de quelque estancia dont son cheval connaît le chemin, il va implorer, en quelque poétique appel, sa maîtresse, la jeune guajira, qui exprime son consentement en lançant dans l’air un insecte flamboyant, le cocuyo. Le guajiro chante quelque chanson comme celle-ci : « Je meurs de froid près d’un oranger sombre, tandis que la maîtresse de mon cœur dort tout à son aise. Je souffre mille tourmens au veut, au soleil et à la pluie, et, pour mes maux, pas