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serons indépendans ! » le roi exigea que les forts fussent éloignés d’une demi-lieue de la côte. Ils sont situés à cette distance et séparés de la mer par un vaste marais, barrière infranchissable pour des troupes européennes, et qui interdit l’approche des forts non à des assaillans, mais à des défenseurs. En cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, les Européens ont été dupes d’un chef nègre; la suffisance que leur inspire le sentiment de leur supériorité les livre à la politique astucieuse des barbares d’Afrique. Généralement on aborde ces côtes sans connaître les peuples qui les habitent; on y apporte l’orgueil d’une civilisation avancée; on croit y exciter l’admiration, et l’on n’y recueille que le mépris. Aujourd’hui encore le roi de Dahomey maintient à la tête de la ville de Whydah un vice-roi nègre, qui porte le titre de yavogan, ce qui signifie, dans la langue du pays, « commandant des blancs. » Lorsque M. Forbes eut une entrevue avec le roi, celui-ci lui demanda des informations sur l’état de la marine anglaise, et, quand l’officier britannique eut essayé de lui faire comprendre la grandeur et la puissance navales de son pays, son interlocuteur lui dit : « La reine d’Angleterre et le roi de Dahomey sont deux souverains qui jouissent d’un pouvoir égal. Ce que Victoria peut sur mer, Guezo le peut sur terre. Guezo est le souverain du continent, comme Victoria est la reine de la mer. » pourtant M. Bruë, de son côté, avait parlé à Guezo de l’armée française. « Il me questionna, dit-il dans le récit de son expédition, sur l’état de la France, sur son gouvernement, sur la manière dont nous faisons la guerre, sur la quantité de soldats dont se composent nos armées, et notamment sur les moyens que nous avons employés pour résister à l’Europe entière; il me fit quelques questions sur Napoléon, sa stature et ses formes, et parut plus satisfait qu’étonné de mes réponses. » Certainement il n’en fut pas étonné, car les Africains regardent les blancs comme des menteurs et des vantards, et d’avance ils sont déterminés à ne pas croire un mot de ce qu’on peut leur dire. Si une présomption aveugle n’obscurcissait pas trop souvent l’intelligence des Européens qui abordent en Afrique, ils seraient moins souvent dupes d’honneurs dérisoires destinés à leur donner le change sur les projets des sauvages.

La déroute éprouvée par les Dahomans devant Abeo-Kutah aura peut-être un utile résultat. Il faut espérer qu’elle aura disposé Guezo à écouter favorablement ceux qui s’efforcent de le détourner de sa coupable industrie, et qui le pressent de favoriser le commerce honnête, auquel son royaume pourrait offrir tant de ressources. La commission d’enquête sur les comptoirs français d’Afrique, qui a été formée en 1850 au ministère de la marine, était composée d’hommes trop éclairés et trop compétens pour avoir négligé d’étudier la question du développement commercial de la France au Dahomey; sans doute la mission qui a