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est laissé sur la prise pour aider à la manœuvrer avec quelques marins détachés du croiseur. C’est une mesure périlleuse. Il y a peu d’années, l’équipage d’un négrier, placé en de telles conditions, s’est révolté contre le capitaine de la prise, l’a tué avec ses compagnons, et est rentré en possession du navire. Arrêtés de nouveau avant d’avoir pu gagner un port de refuge, ces marins ont été livrés, comme assassins, à la justice anglaise; mais, par un rare exemple de respect pour le droit des gens et l’indépendance des pavillons, le tribunal, considérant que le navire avait été capturé par un croiseur qui n’avait pas qualité pour le saisir, a déclaré les meurtriers non coupables et les a relâchés.

Les traitans inventent mille stratagèmes pour déjouer la vigilance des escadres. Ils expédient du Brésil d’honnêtes navires marchands sous pavillon américain ou sarde qui sont pourvus des papiers les plus réguliers et chargés des marchandises les plus innocentes. On conduit ces bâtimens en Afrique d’une manière ostensible, et ils passent paisiblement au milieu même des croisières. Les croiseurs les soupçonnent, les interrogent, demeurent convaincus de leurs projets coupables; mais il leur est impossible de les arrêter. Parvenus à la côte, les faux négocians déchargent leurs marchandises, l’équipage est débarqué, le pavillon est amené. On remplace les objets de commerce par des fers et des futailles pleines d’eau. Un nouveau capitaine, un autre équipage, prêts pour la traite, s’emparent du navire. Ils arborent le drapeau du Brésil; puis on amène les esclaves. En quelques heures, on peut en arrimer à bord plusieurs centaines, rangés les uns à côté des autres sur les barriques d’eau. Et ainsi le négrier reprend la route de Bahia ou de Fernambouc, Sur trois navires chargés de noirs, si un seul parvient à franchir la double barrière des croiseurs qui veillent d’une part sur la côte d’Afrique, de l’autre sur les rivages du Brésil, les traitans sont satisfaits, tant les profits de ce trafic sont considérables! En effet, six cents noirs qui ont coûté 15,000 francs en Afrique peuvent se vendre jusqu’à 150,000 francs au Brésil!

Sur le continent africain, la coupable industrie des traitans d’esclaves se présente sous un aspect plus odieux encore. Quand les malheureux noirs sont tombés entre les mains de leurs bourreaux, ceux-ci les dirigent vers les établissemens des traitans. Ces factoreries consistent en un certain nombre de huttes et de hangars élevés à l’intérieur d’un enclos. Dans le langage des négriers, on les appelle barracons. Les esclaves y sont amenés de l’intérieur sous la garde des barraconniers. qui sont des Africains libres à la solde des traitans. Ces gardiens sont armés jusqu’aux dents, et, pour plus de sécurité, ils attachent leurs captifs tantôt deux à deux, tantôt quatre par quatre, au moyen d’un bâton auquel ceux-ci sont liés par le cou. Chaque prisonnier porte les vivres