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simple dont elles conçoivent Dieu séparé du monde, n’engendrant point, n’étant pas engendré, n’ayant point de semblable, — excluait ces grandes broderies, ces poèmes divins où l’Inde, la Perse, la Grèce ont développé leur fantaisie, et qui n’étaient possibles que dans l’imagination d’un peuple qui laisse flotter indécises les limites de Dieu, de l’humanité et de l’univers. La mythologie, c’est le panthéisme en religion ; or l’esprit le plus éloigné du panthéisme, c’est assurément l’esprit sémitique. L’Arabie au moins avait perdu ou peut-être n’avait jamais eu le don de l’invention surnaturelle. À peine trouve-t-on dans toutes les Moallakat[1] et dans le vaste répertoire de la poésie antéislamique une pensée religieuse. Ce peuple n’avait pas le sens du saint ; mais, en revanche, il avait un sentiment très vif du réel et de l’humain.

Voilà pourquoi la légende musulmane est restée si pauvre en dehors de la Perse, et pourquoi l’élément mythique y est absolument nul. Sans doute la vie de Mahomet, comme celle de tous les grands fondateurs, s’est entourée de fables ; mais ces fables ne sont arrivées à quelque sanction que chez les schiites, dominés par le tour de l’imagination persane. Bien loin de tenir au fond de l’islamisme, ce ne sont que des scories accessoires tolérées plutôt que consacrées, à peu près comme cette mythologie de bas étage des livres apocryphes que l’église n’a jamais franchement adoptée, bien qu’elle n’ait garde de se montrer à cet égard trop rigoureuse. Comment l’imagination populaire n’eût-elle pas entouré de quelques prodiges une existence si extraordinaire ? Comment l’enfance du prophète surtout, thème si avantageux pour les légendes, n’eût-elle pas tenté les conteurs ? Les crédules historiens vous diront, par exemple, que, la nuit où naquit le prophète, le palais de Chosroès fut ébranlé par un tremblement de terre, le feu sacré des mages s’éteignit, le lac de Sâwa se dessécha, le Tigre déborda, et toutes les idoles du monde tombèrent la face contre terre. Tout cela néanmoins ne s’élève jamais à la hauteur d’une légende surnaturelle et consacrée, et en somme les récits de l’enfance de Mahomet, malgré quelques taches, sont restés une page charmante de grace et de naturel[2]. Pour faire mieux apprécier cette sobriété, je donnerai ici un échantillon de la manière dont l’Inde sait fêter la naissance de ses héros.

Quand les créatures apprennent que Bouddha va naître, tous les oiseaux de l’Himalaya accourent au palais de Kapila, et se posent en

  1. On appelait Moallakat ou suspendues les pièces de vers qui avaient remporté le prix dans les tournois poétiques et étaient suspendues avec des clous d’or à la porte de la Caaba. Il en reste sept, auxquelles on rattache ordinairement deux ou trois autres poèmes du même caractère.
  2. Voir M. Caussin, t. Ier, p. 286 et suiv.