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et s’ouvre pour le recevoir ; un parasol descend du ciel pour le couvrir ; un fleuve d’eau froide et un fleuve d’eau chaude accourent pour le baigner, etc.[1].

Voilà ce qui s’appelle entamer hardiment la légende et ne pas marchander avec le surnaturel. L’Arabie était arrivée à un trop grand raffinement intellectuel pour qu’il pût s’y former une légende surnaturelle de ce style. La seule fois que Mahomet voulut se permettre une imitation des fantaisies transcendantes des autres religions, dans son voyage nocturne à Jérusalem sur un animal fantastique, la chose tourna au plus mal : ce récit fut accueilli par une tempête de plaisanteries ; plusieurs de ses disciples abjurèrent, et le prophète se hâta de retirer sa fâcheuse idée, en déclarant que ce merveilleux voyage, donné d’abord comme réel, n’avait été qu’un rêve. Toute la légende arabe de Mahomet, telle qu’elle se lit dans Aboulféda[2], se borne à quelques récits fort sobrement inventés. On cherche à le mettre en rapport avec les hommes illustres de son temps et de la génération précédente ; on fait prophétiser sa mission par des personnages vénérés. Lorsqu’il parcourait les solitudes voisines de la Mecque, plein de sa pensée, il entendait des voix qui lui disaient : « Salut, apôtre de Dieu ! » Il se retournait, et ne voyait que des arbres et des rochers. À sa fuite de la Mecque, il se réfugie dans une caverne. Ses ennemis vont y pénétrer, quand ils remarquent un nid dans lequel une colombe avait déposé ses œufs et un réseau de toile d’araignée qui fermait le chemin. Sa chamelle était inspirée, et, quand les chefs des tribus venaient prendre la bride de sa monture pour lui offrir l’hospitalité, il disait : « Laissez-la marcher, c’est la main de Dieu qui la guide. » Son sabre aussi fait quelques miracles. À l’issue d’une bataille, il s’était assis à l’écart au pied d’un arbre, ayant sur ses genoux cette arme dont la poignée était d’argent. Un Bédouin ennemi l’aperçut ; il s’approche en faisant un long détour, et, feignant d’être attiré par un simple motif de curiosité : « Permets-tu que j’examine ton sabre ? » lui dit-il. Mahomet le lui présente sans défiance. L’Arabe le prend, le tire du fourreau et va frapper, mais le sabre refuse d’obéir.

Tous les prodiges de sa vie sont aussi transparens ; lui-même ne savait rien inventer de bien neuf en ce genre. L’ange Gabriel faisait tous les frais de ses miracles ; il semble qu’il ne connût pas d’autre machine. La bataille de Bedr seule fournit quelques exemples de la grande création merveilleuse improvisée sur place. Une légion d’anges combattit pour les musulmans. Un Arabe, qui s’était placé sur les montagnes environnantes, vit un nuage s’approcher de lui, et du sein de ce nuage il entendit sortir des hennissemens de chevaux et une

  1. Nous prenons ces traits entre mille dans le Lalitavistara, ou légende de Bouddha, traduite par M. Édouard Foucaux (Paris, 1848).
  2. Voir la traduction qu’en a donnée M. Noël Desvergers, Paris, 1837.