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faire prier, laissant son ouvrage à la garde de Dieu. Le samedi, elle rendait à ses pratiques du linge coloré de nuages sablonneux ; mais elle inventait chaque fois un nouveau conte fort dramatique pour expliquer la chose par un accident, et, quand on lui adressait des reproches, elle répondait avec une admirable volubilité de langage pour déguiser son indifférence. Au fond, pourvu qu’on lui donnât son salaire, elle ne s’embarrassait guère du reste.

Un matin, il y avait au Vomero une réunion nombreuse, mais non choisie, de rôdeurs venus de Chiaïa et de Pausilippe, la plupart beaux, robustes, la langue bien pendue, le bonnet de laine rouge sur l’oreille et nus jusqu’à la ceinture. Hormis un muletier, plus cossu que les autres et qui portait veste à ramages, souliers ferrés et chapeau à larges bords, ces jeunes gaillards paraissaient mépriser toute espèce de chaussure, et, entre huit ou dix qu’ils étaient, ils ne possédaient pas deux chemises ; du reste, bons compagnons, avides de divertissemens et redoutant bien plus le travail que la compagnie des jolies filles. Pour engager l’escarmouche avec les laveuses, ils commencèrent par s’attaquer entre eux.

— Tu prétends que tu es bon à marier, Ciccio, disait un grand garçon bâti comme le gladiateur, et tu n’as pas seulement voyagé.

— Je n’ai pas voyagé ! s’écria Ciccio avec indignation. Je suis allé à Salerne, à Pizzo, et jusqu’en vue des côtes de Sicile, où j’aurais abordé sans un orage effroyable qui repoussa en Calabre la barque du patron. C’est toi qui te prétends marin, et qui ne mérites pas seulement le titre de pêcheur. As-tu jamais failli te noyer, Matteo ?

— Moi ! reprit Matteo, je suis tombé à la mer en toutes saisons. Apprends que j’ai péché des dorades et même des thons.

— Des coquillages, des coquillages ! dit le muletier. Quant à Toma, c’est différent : il ne pêche que des laitues, des pois et des carottes ; c’est pourquoi, vivant en frère avec des légumes, son visage ressemble à un cocomello.

— Riez de mon métier, pêcheur de grenouilles et cocher de malheur, répondit Toma le jardinier ; je n’envie point à Ciccio et à Matteo l’avantage de tomber à la mer en janvier, ni à don Annibal le plaisir d’avaler en juillet la poussière des grands chemins.

— On est plus en sûreté sur mes mules que dans une barque, reprit le muletier Annibal, et il y a plus de profit à porter des Anglais à Capoue que des salades au marché de Sainte-Brigitte. Mais, au lieu de nous quereller, prenons pour juge cette belle enfant qui a des mains d’ivoire, des joues de lis, des yeux d’ambre vert, et qui frotte son linge avec tant de courage. Elle saura bien nous dire lequel de nous est capable d’acheter son lit de noces.

Ce discours insidieux, qui s’adressait à Giovannina, n’eut point de