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dans l’acception la plus étroite du mot ; mais cet aveu ne m’empêche pas de louer comme excellentes le plus grand nombre des figures. Les femmes qui présentent leurs enfans au glaive de l’ennemi, celles qui s’agenouillent et n’hésitent pas à placer sous les pieds des cavaliers les nouveau-nés qui tout à l’heure pendaient à leurs mamelles sont traitées avec un savoir, une précision qui désarme la critique. Reste à savoir si les Sabines sont conçues selon les conditions de la peinture, et la question posée en ces termes ne permet guère deux solutions. J’avouerai franchement que les Sabines de David sont plutôt un souvenir de la statuaire qu’un tableau conçu d’après les données de la peinture. Est-ce à dire que ce tableau, composé contre les lois qui régissent la peinture, ne mérite aucune attention ? Telle n’est pas ma pensée, Il y a beaucoup à louer dans tes Salines de David. Je comprends très bien que M. Ingres, destiné à produire dans le développement de l’art une révolution plus salutaire et plus féconde, se soit soumis aux leçons de David, car il avait reçu du ciel une sagacité rare, et sentait que le talent de Vien, malgré les applaudissemens qu’il avait recueillis, n’effaçait pas la désastreuse influence de Vanloo. Bien que le savoir de David se rattachât à la sculpture plus directement qu’à la peinture, il fallait cependant accepter cette protestation comme une pensée excellente, et c’est ce que M. Ingres a parfaitement compris.

Ce que j’ai dit des Sabines, je peux le dire du Léonidas. Je n’ai rien à retirer, rien à ajouter. Le système qui a présidé à la composition de ces deux tableaux n’a subi aucune modification : c’est le même amour de la forme, le même respect de la ligne, le même dédain pour les effets qui relèvent du prestige de la couleur. M. Ingres, qui a sans doute suivi cette œuvre importante à travers toutes les phases de l’enfantement, sait mieux que nous tout ce qui manque à la pensée de David pour émouvoir et pour charmer ; mais, en comparant le Léonidas aux œuvres énervées du XVIIIe siècle, il a salué avec enthousiasme, avec ferveur la pensée d’un maître fermement résolu à déraciner le faux goût. Il est facile, en effet, de discuter, de blâmer, de condamner la manière dont David a conçu son œuvre ; il n’est permis à personne de méconnaître les qualités éminentes qui la recommandent. Chaque figure est dessinée avec une pureté qui défie la critique. Jeunesse, élégance, rien ne manque aux héros immortalisés par la légende grecque. Peu importe que l’érudition ait réduit en poussière le combat des Thermopyles ; peu importe que M. Grote, en épluchant les récits des historiens, ait démontré le néant de cette légende, comme on avait démontré quelque temps auparavant le néant de la légende de Guillaume Tell. Les œuvres de David et de Schiller subsisteront malgré les protestations de l’érudition. Ce qui est vrai, ce qu’il faut s’empresser de proclamer, c’est que la pensée de David, modelée en terre, traduite en marbre.