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a dans le Stabat Mater du couvent de Saint-Marc une vérité de pantomime, une énergie d’expression, que la science la plus profonde ne réussira jamais à surpasser. La douleur de Marie, sous le pinceau de Léonard, de Michel-Ange, de Raphaël, ne s’élèverait pas au-dessus de l’éloquence que fra Angelico a su lui prêter, et pourtant M. Ingres n’a tenu aucun compte de fra Angelico. Rome tout entière vivait dans son souvenir, et Florence demeura pour lui comme non avenue. Je ne m’en étonne pas, mais je crois sincèrement qu’il eût agi avec plus de sagesse en essayant de concilier Rome et Florence, et quand je parle ainsi, ce n’est pas que je veuille demander pour la peinture, c’est-à-dire pour l’expression de la beauté, but suprême de l’art, ce qui a porté dans le domaine de la philosophie des fruits si pauvres. Non sans doute : je crois que toute œuvre puissante doit naître d’une idée personnelle ; mais, avant de tenter la création, il est permis, il est prescrit de recueillir les avis de tous les esprits ingénieux ou vigoureux qui nous ont précédé dans cette carrière difficile, et je pense que l’avis de fra Angelico n’était pas à dédaigner, même pour celui qui avait vécu dans le commerce familier de Raphaël. Quant à Giotto, bien qu’il soit loin de posséder la ferveur de fra Angelico, bien qu’il ne donne pas à l’expression du sentiment chrétien la même éloquence, je crois cependant qu’un disciple de Raphaël pouvait encore le consulter avec profit.

L’école romaine ne contient pas toute la vérité ; je ne l’ai jamais pensé, et tous ceux qui ont étudié avec soin l’histoire de l’art en Italie sont amenés, bon gré mal gré, à partager mon opinion. Cependant M. Ingres n’a vu dans l’Italie entière que l’école romaine. Certes, il se trouve hors de l’Italie des écoles savantes et fécondes. Rubens, Rembrandt, Murillo, Velasquez, méritent bien qu’on leur accorde quelques mois d’attention. Je conçois pourtant que M. Ingres, né deux ans après la mort de Voltaire, et qui a passé vingt-cinq ans dans la patrie de Raphaël, ait concentré toutes ses pensées sur l’Italie, et n’ait jamais voulu interroger l’Espagne, la Flandre ou la Hollande ; je conçois moins facilement qu’il ait vu dans Rome l’idéal souverain, et qu’il ait dédaigné Florence, Venise et Parme. Si je ne parle pas de Milan, c’est que le fondateur de l’académie lombarde procède de Florence, et se confond par ses études, par ses premières œuvres, avec le berceau de Giotto. Il y a dans la conduite de M. Ingres quelque chose qui rappelle la défiance des néophytes. Résolu à réagir énergiquement contre le mauvais goût que Louis David n’avait pas détrôné, convaincu d’ailleurs que son maître faisait fausse route, il a voulu choisir dans le passé un maître nouveau qui fût pour lui une ancre de salut, et Raphaël s’est offert à ses yeux comme le dernier mot de l’art humain, comme l’expression suprême de la science et de l’invention. C’est à Raphaël, qu’il doit l’harmonie et la sévérité de ses travaux, c’est