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guide par la main. Riche, riche, elle deviendra, et toi, Nino, tu es un petit sot d’avoir lâché le pan de sa robe pour te pendre à la jupe trouée de Bérénice. Un autre que toi ramassera le sac d’écus dont Giovannina tient les cordons.

Celle qui parlait ainsi jouissait d’une grande autorité à cause de sa misère et de sa décrépitude. Un silence morne succéda aux propos ironiques. Bérénice consternée baissa la tête ; Nino devint rêveur, et la compagnie changea de conversation. Les ouvrières de Giovannina, stimulées par la gratification supplémentaire de deux sous, jouaient des bras avec une vigueur sans pareille. C’étaient six grosses filles solidement bâties. Elles vinrent à bout de leur tâche, et partirent avant midi. Le lendemain, elles apportèrent plus de linge, et demeurèrent plus long-temps à la fontaine ; enfin, au bout d’une semaine, le nombre des ouvrières à gages se montait à dix. Il s’accrut encore les jours suivans, et les laveuses du Vomero, ne voyant plus Giovannina, comprirent qu’elle méritait le titre honorable de maîtresse blanchisseuse, et qu’elle cinglait à pleines voiles vers la fortune.

— Que ne faites-vous comme elle ? disait Nino à Bérénice. Que n’essayez-vous aussi d’être maîtresse blanchisseuse et d’avoir des ouvrières à gages ? L’argent ne nuit point en ménage, et il est juste qu’en vous mariant avec moi vous apportiez votre part dans l’aisance de la maison.

— A quoi bon ? répondit Bérénice. La tireuse de cartes ne vous a-t-elle pas promis une belle femme et le sort d’un prince ? Voulez-vous que je sois encore lavandara quand vous roulerez carrosse ? D’ailleurs, je ne saurais suivre l’exemple de cette fille ; la vieille laveuse, illuminée par la misère, ne nous l’a-t-elle pas dit : « Giovannina a du bonheur. » C’est donc en vain que je voudrais faire comme elle. J’aurai aussi mon bonheur, et ce sera de t’épouser, cher Nino. Dépêche-toi de retrouver tes père et mère, et tu verras, quand je porterai un chapeau de dame et des manches à gigot, que tu ne rougiras point de la figure de ton épouse.

Le petit lazzarone ne trouva rien à répliquer ; mais il se gratta la tête en songeant à la sotte réponse qu’il avait faite par vanité aux avances de Giovannina. Parmi les discours de la vieille laveuse prophétesse, il y avait un mot effrayant à ce sujet. N’était-ce pas du côté de la maîtresse blanchisseuse qu’il aurait pu rencontrer tout ensemble la fortune et la belle femme de l’horoscope ? Par conséquent, s’attacher à Bérénice bavarde, paresseuse et vouée à une médiocrité perpétuelle, n’était-ce pas faire fausse route ? Nino s’inquiéta bien plus de la rancune de Giovannina que des engagemens pris avec Bérénice. Un manque de foi n’est pas pour arrêter un honnête lazzarone dans ses projets. Afin de savoir jusqu’où pourrait aller cette rancune, et si le mal était