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lui donna une chambre dans sa maison et le commandement d’une escouade d’ouvrières, avec des appointemens fixes et le couvert à sa table. Elle lui prodigua les consolations et les caresses avec cette effusion passionnée qui prête à l’amitié des Italiens une grâce toute particulière. L’établissement de la maîtresse blanchisseuse était dans l’état le plus prospère. L’ouvrage y arrivait de tous côtés, et par conséquent aussi les écus. Dès qu’on sut dans le quartier de la Conciaria que le mariage de la belle Giovannina était rompu, les prétendans accoururent en foule. Parmi eux, il y avait des partis assez riches, et même un militaire de bonne mine dont le sabre faisait un bruit imposant ; mais Giovannina se penchait à l’oreille de Bérénice pour lui dire tout bas : — Quelle heureuse inspiration nous avons eue en allant consulter la tireuse de cartes ! Sans elle, j’écouterais peut-être ces galans. N’oublions pas les avis du roi des bâtons. Quand nos amans reviendront, soyons indulgentes ; pardonnons-leur d’abord les mensonges, les vols et les fautes, et puis nous les corrigerons après cela comme des enfans.

Nino eut le cœur déchiré par les remords, lorsqu’il apprit que les jeunes gens se disputaient la main de sa maîtresse. Du moins il ne voulut pas se laisser vaincre par ses rivaux sans avoir tenté une protestation. À l’heure où les rues de Naples appartiennent aux viveurs nocturnes, aux amoureux et aux chanteurs, population nombreuse, mais plus calme que celle de jour, Nino emprunta une vieille guitare à un marchand de contremarques du théâtre des Pupi, qui était de ses amis, et il se rendit à la Conciaria, sous les fenêtres de sa belle. Après avoir un peu gratté sa guitare, il chanta, sur un air populaire et d’une jolie voix de ténor, les couplets suivans :


Ma Giovannina me méprise :
Je suis voleur et paresseux.
J’ai des bottes, une chemise.
Et pourtant je vis comme un gueux.

Giovannina, sois pitoyable ;
J’ai menti comme un charlatan ;
Mais, au fond, je suis un bon diable.
J’ai volé ! mais je t’aime tant !

Veux-tu donc épouser un Suisse
De la garde de Ferdinand,
Ficelé comme une saucisse
Dans un habit couleur de sang ?

Ah ! si j’avais tout mon courage,
Tu causerais de bien grands maux.
Quel épouvantable carnage
Je ferais de tous mes rivaux !