du caractère répondait à l’intelligence, à l’esprit, aux instincts civilisés, au sentiment du beau chez le lazzarone, Naples serait la première ville du monde. Avec cette espèce de seconde vue qui révèle au méridional l’heure critique de sa fortune et l’instant propice des coups de théâtre et des artifices oratoires. Nino comprit que c’était peine inutile de vouloir toucher des hommes de pierre, et qu’il fallait plutôt les divertir ou les étonner. Sans discontinuer ses prières, il se mit à faire mille gambades extravagantes. Comme dans sa chanson nocturne, il mêla l’élément bouffon au lamentable avec des contrastes frappans. Sir John fronça d’abord les sourcils.
— Va-t’en au diable ! dit-il d’un ton sévère.
Nino n’en dansa que plus fort, en exécutant une saltarelle comique et suppliante d’un art et d’un charme incontestables. Il imitait le bruit des castagnettes en faisant claquer ses doigts. Ses bras élevés en demi-cercle au-dessus de sa tête semblaient porter une corbeille de fleurs, et ses pieds nus d’une forme admirable se cherchaient, se chassaient l’un l’autre si rapidement, qu’on avait peine à les suivre du regard.
— Il danse légèrement, dit un des Anglais.
— Vraiment légèrement, dit un autre.
L’heureux effet des exercices sur l’esprit des quatre seigneurs étrangers était visible. Nino, encouragé, bondit comme un chevreuil, se laissa retomber sur les mains et marcha les jambes en l’air.
— Cela est prodigieux ! reprit un Anglais.
— Vraiment prodigieux !
Cependant Nino partit en faisant la roue des mains et des pieds. Il enfila comme un trait la porte de l’hôtel, et revint portant une chaise en équilibre sur son front. Avec le mauvais goût qui les distingue, les étrangers applaudirent, parmi ces exercices, le plus vulgaire et le moins gracieux.
— Vous savez le napolitain ? dit un des Anglais à sir John. Priez donc ce garçon de faire encore la roue. J’aime beaucoup la roue.
Sir John transmit au petit jongleur la prière du gentleman.
— Très joli ! en vérité très-joli ! répétèrent les quatre étrangers. A présent, voyons le tour de la chaise.
Nino recommença les danses et fit sauter la chaise en équilibre d’une main sur l’autre. Un des seigneurs anglais, dans un accès d’enthousiasme, prit une piastre et la jeta au jongleur, qui la saisit au vol sans interrompre la représentation. Les trois autres seigneurs voulurent aussitôt jeter des piastres. Nino n’en manqua pas une.
— Assez ! cria sir John en riant, assez ! petit drôle. Je te pardonne, et je te permets d’épouser Giovannina.
— Votre seigneurie daignera honorer mes noces de sa présence ? demanda Nino.