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— Volontiers ; à condition que tu feras la roue.

— Tant que votre seigneurie le souhaitera, et vive la joie !

D’un groupe d’hommes du peuple et de servantes qui regardait avec de grands éclats de rire les tours d’adresse de Nino sortit un colosse presque nu ; il s’avança au pas de course en faisant sonner les dalles sous ses talons. C’était le robuste Ciccio. Il paraissait en proie à une exaltation étrange.

— Que je meure, dit-il, si votre excellence ne me rend pas ses bonnes grâces ! À tous péchés miséricorde ! Je ne suis point un voleur comme Nino. Si je n’obtiens point mon pardon, je vais briser en pièces ce guaglione ; je vais le manger tout vivant. Et d’abord, assieds-toi sur cette chaise, mon petit, afin que je montre aux seigneurs étrangers la vigueur de mon poignet.

Ciccio prit la chaise par derrière d’une seule main, et, soulevant Nino à bras tendu, il le porta en chantant une marche triomphale. Devant la porte de l’hôtel était un banc de pierre. Ciccio y courut de l’air d’un Orlando furioso, saisit la pierre par une des extrémités et la mit debout avec des attitudes et des jeux de muscles à faire envie à l’Hercule Farnèse. Les quatre Anglais se tenaient les flancs de plaisir. Des exclamations peu mélodieuses s’échappaient de leurs lèvres, et finalement ils décernèrent à l’athlète des applaudissemens qu’assurément la prima donna de San-Carlo n’aurait point obtenus d’eux, malgré tout son talent.

— Il n’y a pas moyen de tenir rigueur à ces gens-là, dit sir John. Après le voleur, il faut absoudre le meurtrier.

— Mes victimes sont en bonne santé, puisqu’on les marie, répondit Ciccio. Et mes trente-cinq ducats, excellence ?

— Viens avec moi, je te les compterai.

— Un moment ! dit Giovannina. Ciccio a obtenu le pardon de ses fautes par la force, comme Nino par la souplesse ; mais il a des devoirs à remplir. S’il ne s’engage à épouser Bérénice, je m’oppose au paiement des trente-cinq ducats.

— Quoi ! s’écria Ciccio, elle ne me déteste donc point ? Son mépris, ses injures, ses reproches, que sont-ils devenus ? Si je l’eusse écoutée, Bérénice m’aurait envoyé aux galères par un chemin plus droit que celui de la Petrara.

— Tout cela est de l’histoire ancienne, reprit Giovannina. Quand je dis que tu as des devoirs à remplir, tu m’entends assez. Point de femme, point de ducats ! Et tu vas t’engager par un serment bon et valable devant témoins.

Il promit et jura tout ce qu’on voulut, le fourbe Ciccio, car pour trente-cinq ducats il eût renié les saints, les vierges et les martyrs ; mais, quand il tint l’argent, il partit pour Salerne et n’en revint qu’après avoir mangé la somme entière en mauvaise compagnie. Pendant