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en déplorant cette extrémité, on s’y laissait aller, on semblait s’y résigner comme à un arrêt de la Providence. En 92, au contraire, bien que l’exaltation patriotique fût plus bouillante et le sentiment de la défense nationale plus ardent, plus impétueux, la croyance à la nécessité de la guerre était moins vive, moins généralement répandue. Pour bien des gens, les projets d’agression qu’on prêtait aux puissances étaient au moins problématiques, et comme, excepté Dumouriez et quelques fils de fortune, personne parmi nous ne songeait alors aux conquêtes et ne parlait d’attaquer, la guerre pouvait très bien ne pas éclater de si tôt. Les fougueux révolutionnaires, comme on vient de le voir, ne la demandaient pas tous, tandis que tous la roulaient en 1831. Il est donc permis de croire que si les girondins, alors maîtres des affaires, se fussent donné pour faire durer la paix la moitié seulement de la peine qu’ils ont prise pour faire déclarer la guerre, ils auraient aisément réussi; en 1831, au contraire, rien ne semblait plus hasardeux, plus incertain, plus difficile que de prévenir une collision.

Elle n’a point eu lieu pourtant. Ce sera l’éternel honneur de M. Casimir Périer et de ceux qui ont soutenu sa politique. Ils ont secondé une haute sagesse qui ne pouvait agir seule ; ils ont osé l’aidera fonder sur la paix l’œuvre de ces dix-huit années que la France regrettera long-temps et qui grandiront encore dans l’histoire. Certes, à ne voir que l’apparence, on pouvait croire alors à un entraînement fatal, irrésistible, à un de ces mouvemens d’opinion contre lesquels aucune puissance humaine ne peut lutter. Eh bien! il a suffi d’un homme, d’un homme résolu, d’un dévouement énergique ; pour triompher de cette soi-disant fatalité, pour épargner à 1831 une désastreuse parodie de 92.

Ce n’est pas après coup, dans de tardives imprécations, dans de théâtrales harangues, qu’il faut faire acte de résistance; c’est sur le fait, avant l’heure décisive, c’est en payant de sa personne, en tenant tête dès le principe aux passions qu’on veut contenir, aux erreurs qu’on veut redresser. De ces deux sortes de résistance, les girondins n’ont connu que la première; M. Périer nous a prouvé qu’on pouvait pratiquer la seconde. Mais aussi M. Périer avait l’esprit le moins girondin qui fût au monde; il avait l’esprit de gouvernement, c’est-à-dire l’horreur des phrases et le goût de la responsabilité. Ce qui caractérise les girondins au contraire, c’est avant tout l’amour des phrases, l’ambition oratoire, le goût de la fausse rhétorique comme de la fausse popularité. Aussi, même dans des circonstances moins formidables, jamais ils n’auraient été que de pauvres politiques. La faute n’en est pas toute à eux : ils étaient fils du XVIIIe siècle et du XVIIIe siècle vieillissant, élèves non pas même de Voltaire, qui du moins leur eût appris à être simples, mais de Rousseau et de cette école qui s’imagine avoir régénéré l’espèce humaine en remplaçant la morale par le sentiment et la foi par la déclamation. Nourris d’un tel lait, à quoi leur pouvaient servir les