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n’autorisaient ces excentricités tout aussi choquantes des prétendus conservateurs, conservateurs à rebours, prœposteri homines, comme dit quelque part Salluste, qui commencent par jeter leurs fondations avant de s’être enquis si le terrain les portera. Le public ordinaire n’en est pas, vis-à-vis de la presse, à des résolutions si farouches; il en a tout uniment cet ennui que nous avons expliqué; il ne tolère pas qu’on lui trouble le repos dans lequel il attend une issue dont il a décidé d’avance qu’il ne s’inquiéterait plus outre mesure. Les déclamations des beaux parleurs se joignent, par surcroit, à ces dispositions intolérantes : la couleur excessive dont leurs idées sont chargées déteint plus ou moins, sans qu’on le veuille, sur les idées qui sont dans la circulation générale, et voilà comment les journaux ont été depuis quelque temps si maltraités par le jury.

La justice du jury ne cesse jamais d’être en un rapport très étroit avec le va et vient de l’opinion courante : c’est son mérite et son imperfection. La sévérité qui a caractérisé les arrêts récemment prononcés contre quelques écrivains n’a pas laissé de donner à penser à tout le monde, au jury lui-même comme à ses justiciables. Tout le monde a pu faire les réflexions que nous enregistrons ici : on s’est dit qu’il fallait qu’on fût bien dégoûté de l’usage de la presse pour en poursuivre avec tant de rigueur des abus qu’on eût autrefois acceptés comme véniels. On se l’est si bien dit et répété, que le jury, à son tour, grâce au commerce intime et continuel qu’il entretient avec la foule, aura su quelque chose de cette impression produite par ses sentences. Dans une dernière épreuve, il s’est montré moins inflexible, et il n’est pas invraisemblable que les condamnations qui ont frappé coup sur coup l’Événement et l’Avènement aient été pour quelque chose dans l’acquittement de la Presse. On a rendu la main après avoir serré la bride. Puis, il y a la part des circonstances; il y a des plaidoyers ou des patronages qui sont des circonstances aggravantes. On aurait pu certainement avoir plus d’indulgence pour des écarts de rhétorique. La rhétorique joue, il est vrai, un rôle trop considérable dans toutes nos affaires, et ce n’est pas toujours le rôle de l’innocence; il y aurait à composer un livre instructif sur les effets de la rhétorique dans l’histoire de la nation française et de son gouvernement. Ici cependant les articles qui étaient en cause sentaient si fort la matière d’amplification et la sortie du collège, qu’ils perdaient beaucoup de leur danger, et qu’il n’y avait pas d’imprudence à les oublier tout de suite. Mais pour être juré, l’on n’en est pas moins homme, et il n’est point défendu de supposer que le discours de M. Hugo contre la peine de mort n’a guère servi ses enfans auprès de ceux qui l’ont entendu, comme il est d’ailleurs très possible que le gérant de l’Avènement du Peuple ait à son tour été la victime de la lettre par laquelle M. Hugo inaugurait le nouveau journal. L’auteur avait trop mis de lui dans cette lettre; il y étalait trop fastueusement cette personnalité que l’on connaît si bien. On se lasse à la fin, on s’irrite de voir cet incorrigible orgueil qui se suffit pour se nourrir. Cette haute vertu qui plane si familièrement dans les régions célestes, qui se compare et s’égale aux dieux immortels, à Napoléon, à Jeanne d’Arc, à Jésus-Christ, finit par devenir plus désagréable et plus blessante que ne le serait la franche parade du vice le plus effronté. On ne lui pardonne ni les leçons ni les menaces qu’elle se permet à l’adresse des simples humains, et ce qu’on lui pardonne encore moins, c’est le pardon même qu’elle s’ingère d’offrir. M. Victor Hugo s’imagine