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promesses de l’église du moyen-âge. En prêchant la réformation individuelle, le protestantisme assurait infailliblement la réforme de la société politique, car d’une part il rendait l’individu digne d’entrer dans une nouvelle société, et de l’autre il le protégeait contre les écarts de ses passions en le maintenant dans l’ancienne société jusqu’à ce que les mœurs eussent été transformées par les croyances et l’éducation opérée par la foi. Il ne laissait pas l’homme sans abri et sans asile, comme nous a laissés la révolution en détruisant brusquement les anciennes institutions. La révolution française a suivi la marche contraire; arrivée dans une époque de scepticisme et de corruption, elle a cru délivrer et émanciper l’homme en démolissant tout ce qui lui faisait obstacle en apparence; mais elle n’a pris aucun point d’appui dans l’homme autre que le point d’appui nécessaire pour opérer cette destruction, c’est-à-dire les passions. L’erreur de nos pères fut de croire que pour rendre les hommes libres et égaux, il suffisait de renverser toutes les barrières extérieures qui les séparaient; ils ont raisonné à la façon d’un conquérant barbare qui penserait que pour conquérir un peuple il suffit d’abattre des murailles et de raser des villes. Qu’est-il arrivé? Les institutions ont été renversées et non remplacées; les lois ont été changées, mais sans être plus respectées que les anciennes coutumes; les barrières ont été abattues, mais les individus ne se sont pas rapprochés. L’ancien régime était mort extérieurement, mais il vivait toujours intérieurement, aussi bien dans l’ame de ses destructeurs que dans l’ame de ses défenseurs; les anciennes mœurs n’avaient pas changé, la corruption était toujours aussi intense. En un mot, au moment où nos pères croyaient avoir détruit l’ancien régime, ils le portaient en eux-mêmes, le continuaient dans leurs rapports mutuels; autre était leur conduite, autres leurs paroles; autres leurs doctrines, autre leur vie; autre leur langue, autre leur esprit. C’est là la faiblesse de la révolution : la meilleure partie de l’homme, la conscience, n’y a pas pris part; nos pères luttaient contre des fantômes d’ancien régime, et ils avaient en eux cet ancien régime vivant. Nous-mêmes aujourd’hui, nous n’en sommes pas bien guéris. Avons-nous bien les vertus que réclame, pour se soutenir, la société moderne? Nous nous rendons bien compte des institutions qui lui conviennent, mais avons-nous le courage moral, la sévérité dans la vie qui est son idéal? Non, certes, nous concevons une société libre et facile plutôt qu’une société libre et austère. Cependant cette dernière est seule vraie : la liberté exclut toute idée de facilité et d’indulgence, sans quoi elle dégénère en licence. C’est faute de savoir cela que nous discutons encore aujourd’hui sur les limites de la liberté, sur la liberté illimitée et autres sottises semblables.

Ainsi donc la révolution a été faite en faveur de l’individu, et l’individu se trouvait le même après comme avant la révolution. Quelle