Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contradiction ! Sur qui faire retomber cet état de choses, ce malaise persistant ? Nos pères s’en rejetèrent mutuellement la faute, et s’entr’égorgèrent. Depuis cette époque, nous sommes parvenus à reconstruire une ombre de société, et c’est sur elle que nous faisons retomber volontiers toutes nos infortunes. Remarquez en passant que les socialistes ne font autre chose, lorsqu’ils attaquent la société moderne, que se servir du même procédé de destruction que la révolution française leur a enseigné. Ils se prétendent les continuateurs, au fond ils sont, sans le savoir, les antagonistes et les ennemis de la révolution ; mais ils répètent les paroles que leur ont enseignées les révolutionnaires, et ils imitent, autant qu’il est en eux, leur tactique, leurs moyens d’attaque et leur méthode : ils ne font que continuer leurs erreurs, de sorte que la société moderne périt par les mêmes moyens qui ont servi à la fonder.

Je connais l’objection qu’on peut faire : le XVIIIe siècle était une époque de corruption et de critique ; ce n’était point une époque religieuse, par conséquent cette réformation individuelle était impossible. Je ne conteste pas qu’il n’y eût de très grandes difficultés : le XVIIIe siècle était en effet une époque si corrompue, que personne ne songea même un seul instant à la question que nous venons de poser et ne se demanda : « Mais si la société est mauvaise, sommes-nous meilleurs ? et, si nous devons la changer, ne devons-nous pas devenir meilleurs ? Si ce changement de société doit être un progrès, ne faut-il pas qu’en même temps il s’accomplisse en nous un progrès analogue ? » Personne ne songea un seul instant qu’il dût y avoir une corrélation nécessaire entre les individus et les institutions. Qu’arriva-t-il ? Que la corruption attaqua la corruption ; qu’un combat à mort s’engagea, à l’issue duquel la licence fut admise à trôner sur des ruines. Le XVIIIe siècle s’était placé hors de la véritable nature de l’homme, il en avait oublié la meilleure partie, la conscience ; il a porté, et à sa suite nous portons les peines de son oubli coupable. Il avait pris son principe dans une nature humaine fausse, artificielle et gâtée ; aussi, lorsqu’il s’est agi de fonder une société, ce principe a été incapable de relier entre elles les diverses parties du corps social et d’établir des relations entre les hommes. L’anarchie a dû régner et a régné en effet dans une agglomération d’hommes où, pour protéger réciproquement les individus contre leurs opinions et leurs actes, il n’y avait pas dans les âmes une foi commune et une règle morale semblable pour toutes les intelligences.

Si tout ce que nous venons de dire n’est pas assez sensible, et si l’on pouvait croire que cette réforme individuelle, que nous regardons comme moralement nécessaire et indispensable, même en se plaçant au point de vue utilitaire et politique, est une rêverie, une pure chimère, il nous est facile d’éclairer notre opinion par une hypothèse