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qui, hélas ! peut très bien, d’un jour à l’autre, devenir une réalité. Dans son dernier livre, M. Proudhon a cité un fragment d’un admirable discours de M. Royer-Collard sur la centralisation. M. Royer-Collard y explique très bien comment la centralisation n’est pas une doctrine, mais une nécessité, comment elle est l’unique moyen de gouverner des individus épars sur un même sol, sans aucun lien moral commun. Eh bien ! supposons que demain cette centralisation soit détruite. Rien n’est moins difficile à concevoir ; la centralisation étant une simple machine administrative et gouvernementale, qui ne touche en rien au cœur de l’homme, sa destruction, par conséquent, ne rencontrerait pas de grandes résistances de la part des individus qu’elle protège. Qu’arriverait-il ? Nous nous trouverions en plaine anarchie, et le spectacle que présenterait la France pourrait être comparé au spectacle d’une fourmilière démolie par le pied d’un passant. On verrait alors distinctement qu’aucun lien véritable n’unissait les individus et qu’ils n’étaient réunis que par un lien administratif, artificiel. Les adversaires de la centralisation eux-mêmes ne le nient pas et s’autorisent même de cette anarchie, enveloppée dans une unité apparente, pour établir qu’un autre système politique est absolument nécessaire ; ils disent que, cette unité superficielle étant détruite, de nouvelles relations devront nécessairement s’établir entre les individus, car l’anarchie répugne à l’homme, et sa nature le porte vers l’ordre et l’harmonie. De nouvelles relations s’établiraient, je veux le croire, mais il n’en existe donc aucune, puisqu’elles auraient besoin de s’établir ; il n’y a donc pas de lien moral entre les individus ? Et maintenant est-il bien certain que, sans la centralisation, de nouvelles mœurs pourraient naître ? Non, car il manque aux individus le principe générateur des mœurs, et ce principe, ils ne l’acquerraient pas plus sûrement par la décentralisation que par la centralisation. On voit donc, par cet exemple, combien notre assertion est fondée. Il est si vrai d’ailleurs que la centralisation administrative est le seul lien entre les individus de notre temps, que, lorsque par hasard cette centralisation est atteinte dans son principe, lorsque le gouvernement est menacé ou renversé, il ne se rencontre aucune force de résistance sur aucun point. Les individus sentent que le lien qui les unissait est rompu ; l’expérience est d’hier : qu’on se rappelle le 24 février. Dans ces désastres subits, lorsque le lien politique et extérieur est brisé, l’homme de notre temps ne trouve en lui aucune ressource, aucune force intérieure qui lui permette de résister, si bien que non-seulement cette absence de principes communs empêche les individus de se rapprocher, mais encore quelle livre sans merci, sans défense, sans possibilité de combat, l’individu à ses semblables. Cette réforme individuelle, qui a fait défaut, était donc indispensable ; l’absence de cette réforme a donc des conséquences politiques. Ajoutez encore que, par là, la révolution est devenue un fait