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tyrannie, de communisme, de jésuitisme, d’athéisme, d’intolérance, comme tout à l’heure on l’accusait d’indifférence, d’immobilité, de stérilité et de paresse.

Pour que l’ignorance sur la véritable nature du pouvoir ait pu entrer à un tel degré dans l’esprit des hommes de notre temps, il faut qu’il y ait une cause : la cause, c’est toujours ce principe éminemment faux de la révolution, qui n’a rien appris à l’individu que la destruction, et qui a fait de lui, depuis soixante ans, l’unique puissance, — puissance arrogante, mobile et essentiellement anarchique, lorsqu’elle est laissée sans contre-poids. Lorsque l’individu ne trouve pas ce contre-poids en lui-même, il ne peut le trouver que dans l’autorité; lorsque la personne humaine n’a pas appris à se contraindre elle-même, l’autorité, pour la contraindre, doit nécessairement sévir, et cette punition, grâce à l’absence de respect, engendre naturellement l’anarchie. Rien ne peut sauver les peuples qui ont désappris cette contrainte morale, pas même le châtiment de la désobéissance.

Il y a quelque deux cents ans que Hobbes a, sans s’en douter, décrit notre état politique, et sinon la nature humaine véritable, au moins la nature humaine telle que nous la pouvons voir au XIXe siècle. « L’état de guerre, disait-il, est l’état de nature; l’instinct le plus naturel aux hommes est de s’entre-détruire; l’anthropophagie, sous ses différentes formes, est leur goût dominant, et les lois n’ont été inventées que par quelque sage pris de compassion et de pitié, quelque Démocrite doublé d’un Héraclite, pour les empêcher de s’entre-dévorer. » Mais aujourd’hui les lois ne servent plus à nous protéger : l’homme, avec sa finesse de sauvage, est parvenu à découvrir que les lois avaient été inventées pour l’empêcher de se livrer à son goût dominant, le goût de la guerre et de la mort; il veut revenir à l’état de nature de Hobbes. Il reste à savoir si les hommes qui n’appartiennent plus à cette nature primitive, qui appartiennent à la nature humaine régénérée, civilisée et chrétienne, voudront revenir à cet état premier. Là est toute la question. Voilà le grand vice de la révolution : elle a interrompu le développement de la nature humaine, de la tradition, et a jugé de l’homme à peu près comme Hobbes, sans avoir pour cela les mêmes motifs que lui; elle a donné raison à Hobbes, car elle croyait qu’en enseignant aux hommes à se débarrasser des lois, ils seraient libres. Ils s’en sont débarrassés, mais à la condition de s’entre-détruire. On s’inquiète beaucoup et on discute sans cesse sur les causes de cette tentation perpétuelle de désobéir aux lois qui tourmente de nos jours l’individu; mais Cette envie de désobéir est à la fois une preuve de sagacité et un aveu de culpabilité. Il cherche à désobéir aux lois connue le criminel cherche à s’évader. Il sent très bien que ces lois sont faites pour limiter ses caprices, qu’elles lui sont un obstacle et non pas une