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grand’chambre du parlement. On était à la veille de la révolution. Le jeune avocat partagea les vœux et les espérances de tous les esprits éclairés et de tous les cœurs généreux de ce temps. Il fut envoyé à la commune de Paris par le quartier de l’île Saint-Louis, qu’il habitait alors, et devint le secrétaire de ce conseil. Il resta dans la commune jusqu’au jour où elle fut envahie et renversée par les auteurs de la révolution du 31 août. Peu de temps après, député à la barre de la convention par la section de Paris à laquelle il appartenait, il vint faire entendre des paroles qui auraient pu prévenir les sanglantes proscriptions du 31 mai. Proscrit lui-même alors, comme tous les amis modérés de la révolution, il quitta Paris, et vint demander un asile à sa mère. Celle-ci, sans s’émouvoir, fit venir une jeune servante nommée Marie-Jeanne; il faut en citer le nom à cause de la grande place qu’elle tient dans le tableau de cette famille, dont elle partageait la piété rigoureuse, les mœurs pures et l’indomptable caractère. Sa maîtresse lui dit : « Vous vous tiendrez tous les jours à l’étage le plus élevé de la maison, et vous nous avertirez si vous apercevez de loin quelque danger. — Vous, dit-elle à un domestique, vous aurez un cheval toujours sellé, que vous monterez de temps en temps pour détourner les soupçons; et vous, mon fils, vous irez travailler aux champs. Vous partirez avant le jour et ne reviendrez qu’à la nuit. » Le jeune avocat traversa ainsi le temps de la terreur, poussant devant lui la charrue, sur laquelle il plaçait un livre tout ouvert, et occupant à la fois le corps et l’esprit.

Les gens du village respectaient trop la mère de M. Royer-Collard pour la trahir. Malgré les appellations nouvelles par lesquelles on essayait de confondre tous les rangs, ils continuaient de la nommer madame comme par le passé. L’un d’eux, ayant quelques relations avec un des membres du comité de salut public, fut chargé de rechercher le fugitif; mais il alla trouver la mère pour aviser avec elle au moyen de faire évader le fils. Elle le reçut dans une chambre aux murs de laquelle était suspendue une grande image du Christ. Cet homme fut frappé du ton de majesté de Mme Royer-Collard et du courage qu’elle avait de laisser cette image sainte exposée à tous les yeux en de pareils temps. Il décida que le fils resterait auprès de sa mère, et écrivit à Paris qu’il n’y avait aucun proscrit dans le village. « Je voulais d’abord, dit-il, sauver son fils sans exposer ma tête; mais à présent je monterais pour elle sur l’échafaud. »

Quelque temps après, un agent de la force publique entra dans la maison. Mme Royer pensa que c’en était fait de son fils, et elle en offrait le sacrifice à Dieu dans son cœur; mais la terreur était passée : une constitution avait été récemment promulguée; le jeune Royer-Collard venait d’être nommé député au conseil des cinq-cents par les électeurs